Beatrice Slama, une femme du siècle.

Un samedi de septembre en fin de matinée. Une petite foule assez compacte se rassemble devant l’entrée du cinéma Saint André des Arts. Certains se reconnaissent, se congratulent, avant d’occuper les sièges de la salle bientôt pleine. Que viennent-ils voir ?

 

Un film que la cinéaste tunisienne Hajer Charf a consacré à une femme exceptionnelle, âgée aujourd’hui de 95 ans et finissant ses jours en soins palliatifs, une femme qu’ils ont tous aimés : Béatrice Slama, la Bice qui enseignait l’italien au Lycée Alaoui il y a un demi-siècle, la prof de mon adolescence qui me fit aimer l’Italie. Bice était une femme d’une si grande beauté que je lui trouvais dans mes fantasmes une ressemblance avec Ava Gardner.

Béatrice était une juive tunisienne qui aima passionnément son pays, la Tunisie, qu’elle voulait libre, débarrassée du colonialisme. Pour cela, elle milita dès l’adolescence dans le jeune parti communiste tunisien. Pendant l’occupation nazie de la Tunisie, laquelle fort heureusement ne dura que 6 mois, son mari Dr Yvan Slama fut incarcéré. Elle lutta pour sa libération.

Puis ce fut la lutte pour l’indépendance de la Tunisie. Chaque 1er mai, Bice défilait brandissant un drapeau rouge. Sa lutte était aussi une lutte pour l’émancipation de la femme tunisienne. Celle-ci fut obtenue en 1956.

Malheureusement, la société fraternelle dont Bice avait rêvé ne se réalisa pas, pas même au parti communiste qui jugea nécessaire d’éliminer ses dirigeants juifs. La Tunisie indépendante ne sut pas reconnaître l’amour de ses enfants qui n’étaient pas nés musulmans. Bice et son mari subirent tant de vexations et d’injustices, dans une société de moins en moins tolérante et libre, que le couple fut contraint de prendre le chemin de l’exil et de s’installer à Paris. Bice raconte cette période de sa vie sans une trace d’amertume, avec le beau sourire qui la caractérisait. La roue de l’Histoire avait tourné, disait-elle, sans considération pour les histoires individuelles.

Installée en France, elle enseignera désormais la littérature comparée à la faculté de Vincennes, sortie de terre après mai 68. Elle ne sera plus Bice mais Beatrice.

Mais c’est le combat des femmes, au côté de son amie Hélène Cixous, qui devient sa passion. Le féminisme de Béatrice n’a rien de grincheux, mais l’affirmation souriante et ferme, simple comme une journée ensoleillée, que la femme a les mêmes droits que l’homme.

Le film, un long entretien, fut tourné il y a deux ans. Béatrice avait gardé son beau sourire, sa bonne humeur jamais démentie et surtout une parfaite lucidité de l’esprit avec cette infinie générosité qui la caractérisait.

Chacun savait que Beatrice vivait ses derniers jours. Pourtant aucune tristesse dans la salle, une fois les lumières revenues. Une sorte d’amour joyeux flottait dans l’air pour cette femme qui avait embelli nos vies.

Gérard Haddad.

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