La critique de Jean-Louis Gouraud : le catholicisme bien vivant… et bon vivant

Pour Jean-Robert Pitte, le christianisme n’a pas asséché la pensée grecque. Au contraire, il l’a vivifiée et prolongée.

Par Jean-Louis Gouraud

La plus grande catastrophe intellectuelle qui ait frappé l’Occident a eu lieu aux ive et ve siècles de l’ère chrétienne : il s’agit, précisément, de l’adoption définitive du christianisme !

C’est du moins ce qu’ont cherché à démontrer un certain nombre d’agitateurs d’idées, parmi lesquels le journaliste Jean-François Kahn, qui, dans un gros livre devenu best- seller (1), a expliqué à quel point le grand remplacement du polythéisme en vigueur à l’époque par un rigoureux monothéisme avait donné un formidable coup de frein à toute évolution de la pensée, à toute recherche philosophique et même à tout progrès scientifique puisque ce dernier ne peut se développer que dans le doute, alors que la religion n’affirme et n’impose que des certitudes.

Après la conversion de Constantin puis le baptême de Clovis, écrit Jean-François Kahn, « il ne sera plus question qu’une multitude d’écoles de pensée – épicuriens, pythagoriciens, stoïciens, platoniciens, cyniques, sophistes, aristotéliciens – fassent assaut de dialectiques contradictoires. Les seules controverses philosophiques tolérables – et encore – seront désormais celles qui s’installeront au sein de la même école ».

Le très médiatique philosophe militant Michel Onfray, pourtant pur produit de la culture occidentale (et ancien enfant de chœur !), n’est pas loin de professer, à sa manière, la même idée.

D’autres essayistes ont prétendu qu’en reprenant au judaïsme l’idée d’un Dieu unique et omnipotent, le christianisme, de plus, a laissé supposer qu’il pouvait en être de même parmi les hommes, favorisant ainsi un pouvoir personnel, et absolu, qui prendra parfois la forme de la monarchie (de droit divin, naturellement) et parfois celle de la dictature.

Même s’il y a beaucoup de mauvaise foi (c’est le cas de le dire) dans ces assertions, elles ont obtenu une large audience et contribué peut-être au déclin, en France en particulier, des pratiques chrétiennes et, plus encore, à la perte de crédibilité de la parole papale, pourtant réputée infaillible.

Face à ces allégations, Jean-Robert Pitte s’est lancé dans une sorte de reconquista intellectuelle, sous forme d’une vaste étude formidablement documentée, intitulée La planète catholique (2).

À la différence de certains de ses contradicteurs, Jean-Robert Pitte n’est pas un simple amateur, un historien du dimanche : c’est un universitaire, un géographe mondialement reconnu et respecté. Après avoir obtenu agrégation et doctorat de géographie (ainsi qu’un doctorat ès lettres), il a enseigné à la Sorbonne, université dont il est devenu président en 2003, mandat pendant lequel il a ouvert une antenne de la célèbre institution à Abou Dabi.

LA PLACE DES FEMMES

Amoureux de l’Afrique, fin connaisseur du Japon, Jean-Robert Pitte préside aujourd’hui la Société française de géographie et assure le secrétariat (perpétuel) de l’Académie des sciences morales et politiques.

On ne peut résumer en quelques lignes un ouvrage d’un tel volume (470 pages), d’une telle densité, résultat d’une vie entière de recherches. Tout juste peut-on essayer d’en retenir quelques points saillants.

Pour Jean-Robert Pitte, le principal mérite du christianisme, son principal apport à la civilisation est d’avoir imposé l’idée d’une égalité absolue de tous les humains devant Dieu. Il s’agit là d’une rupture radicale avec le judaïsme, où il est question d’un peuple élu, mais aussi avec toutes les convictions en vogue chez les Grecs comme chez les Romains au temps de Jésus. Une autre extraordinaire spécificité de la religion du Christ apparaît à la lecture de l’ouvrage de Jean-Robert Pitte : c’est la place que la femme occupe dans le christianisme en général (le rôle de Marie, mère du fils de Dieu), le catholicisme en particulier : c’est Hélène, la mère de Constantin, qui a convaincu ce dernier de se convertir ; c’est Clotilde qui a poussé Clovis à adopter le catholicisme ; et c’est sous l’influence de Monique, sa mère, que le futur saint Augustin

s’est fait baptiser.

L’égalité de tous les êtres humains, la place éminente accordée aux femmes : ce n’est déjà pas si mal. Mais Jean-Robert Pitte ne s’en tient pas à ces seules constatations. Son ouvrage monumental grouille de considérations toujours formidablement documentées sur mille autres sujets : les relations complexes qu’entretiennent les différentes obédiences chrétiennes, l’attitude des catholiques devant la mort, l’argent, la nature.

Par-dessus tout, il parvient à donner du catholicisme une image extrêmement sympathique, joyeuse, voire joviale. Un peu comme il l’est lui-même. En fin gastronome, amateur de bonne chère et de bons vins, Jean-Robert Pitte s’attache à rappeler, en effet, que « les Évangiles montrent le Christ heureux de jouir des plaisirs de la vie », et que, chez les cathos, « toute fête religieuse doit être soulignée par un repas soigné et par des spécialités gastronomiques spécifiques ».

Peut-être espère-t-il ainsi consoler Jean- François Kahn, qui déplorait l’assèchement par le christianisme des philosophies qui ont fait la grandeur de la pensée grecque.

Le professeur Pitte montre que le catholicisme a su, au contraire, les prolonger, en sachant concilier stoïcisme et épicurisme.

(1) : La tragédie de l’Occident (Fayard, 2014), 22 euros.

(2) : La planète catholique. Une géographie culturelle (Tallandier, 2020), 25,90 euros.


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