Kamala Harris : l’atout maître de Joe Biden

FILE -- Sen. Kamala Harris, (D-Calif.) participates in a news conference at the outset of President Donald Trump's impeachment trial, in Washington, Jan. 16, 2020. False and misleading information about Harris has surged in the days since she joined the Biden ticket, spread by both Trump supporters and some on the far left. (Anna Moneymaker/The New York Times) *** Local Caption *** POLITICS QANON CONSPIRACY BIRTHER RACISM NORTH AMERICA DEMS LEFT

Femme, progressiste, plutôt jeune et non blanche, la candidate démocrate à la vice-présidence a le profil idéal. Et d’autres qualités. Retour sur le parcours personnel et professionnel de cette fille d’immigrés jamaïcain et indien qui pourrait faire battre Donald Trump. Et qui nourrit de grandes ambitions.

Par Olivier Marbot

L’épisode restera l’un des temps forts de la primaire démocrate. Le 28 juin 2019, le premier débat à l’investiture est organisé et les téléspectateurs assistent, médusés ou amusés, à la charge de Kamala Harris, ancienne procureure et, depuis 2017, sénatrice de Californie. Martelant son pupitre, elle attaque frontalement Joe Biden, déjà considéré comme le favori. « Je ne pense pas que vous soyez raciste, admet-elle d’une voix ferme, mais… » Mais Kamala Harris voudrait savoir pourquoi M. Biden a commencé sa carrière auprès de parlementaires qui, dans les années 1960, soutenaient la ségrégation raciale et s’opposaient notamment au busing, mesure visant à modifier les transports scolaires afin de favoriser la mixité entre enfants blancs et noirs.

Biden, stoïque, conteste et tente d’expliquer sa version des faits, assure que tout son engagement politique s’est construit autour du combat pour les droits civiques et de la fin de la ségrégation. Kamala Harris le reprend, souligne qu’elle-même a fait partie des premiers étudiants de couleur autorisés à étudier à Berkeley… Bernie Sanders, qui occupe le pupitre placé entre les deux combattants, baisse les yeux et garde les lèvres serrées, visiblement mal à l’aise.

Autant dire qu’entre Joe Biden et Kamala Harris le coup de foudre n’a pas été immédiat. Lors du débat suivant, en juillet, l’ancien vice-président de Barack Obama prend d’ailleurs sa revanche en attaquant à son tour la sénatrice sur son bilan comme attorney general de Californie. Un poste où l’aile gauche du parti démocrate l’a trouvée trop répressive et proche des forces de l’ordre, tandis que les conservateurs la jugeaient au contraire excessivement laxiste.

Et pourtant, à l’heure de choisir la personne qui allait composer avec lui le ticket présidentiel pour novembre, c’est bien l’ex-procureure que Joe Biden a choisie. Non parce qu’il avait pour elle une affection considérable, mais parce qu’il considérait, et son entourage avec lui, qu’elle était, et de loin, la meilleure pour le poste.

Sitôt le choix annoncé, le 11 août 2020, beaucoup de commentateurs ont pourtant proposé une lecture simpliste de la stratégie démocrate. Dans une Amérique frappée par le coronavirus, où il ne se passe quasiment plus une semaine sans qu’une personnalité de premier plan – y compris Biden lui-même – soit accusée de harcèlement sexuel et où le mouvement Black Lives Matter fait descendre dans la rue des foules immenses, le parti n’aurait pas eu le choix. Le candidat à la vice-présidence devait être une femme plutôt jeune et non blanche.

Procureure générale

Même côté républicain, on a cru un temps que Donald Trump allait sacrifier Mike Pence pour concourir, lui aussi, avec une colistière. Il n’en a rien été, mais l’idée – assez déplaisante et méprisante pour elle – selon laquelle Kamala Harris n’aurait été choisie que pour, si l’on ose dire, son « pedigree » demeure bien ancrée. C’est en partie vrai, mais en partie seulement, et il faut se plonger dans le parcours personnel et professionnel de Kamala Harris pour comprendre qu’elle possède beaucoup d’autres qualités.

Kamala Devi Harris est née à Oakland, Californie, le 20 octobre 1964 (elle a donc vingt-deux ans de moins que Joe Biden), d’un père d’origine jamaïcaine, économiste et enseignant à la prestigieuse université Stanford, et d’une mère endocrinologue, arrivée d’Inde en 1960. Enfant, avec sa sœur Maya, elle fréquente une église de la communauté afro-américaine mais aussi, à l’occasion, le temple hindouiste d’Oakland, et rend périodiquement visite à ses grands-parents en Inde et en Jamaïque.

Après le divorce de leurs parents, les deux filles vivent un temps au Canada avec leur mère. Puis Kamala revient aux États-Unis pour terminer son cursus universitaire. Elle étudie les sciences politiques à Howard University, une université de Washington considérée comme « historiquement noire », où elle fréquente une sororité afro-américaine, Alpha Kappa Alpha. Puis elle retourne en Californie et décroche son diplôme de droit en 1990.

Elle débute sa carrière de juriste comme adjointe au bureau du procureur du comté d’Alameda (qui s’étend de Berkeley, au nord, à Palo Alto, au sud), rejoint ensuite le bureau du procureur de San Francisco pour diriger les enquêtes criminelles, est embauchée par la mairie de la ville puis, en 2003, se fait élire procureure du district. Réélue en 2007, elle devient, en 2010, procureure générale de Californie. En 2016, elle se lance dans la course à l’investiture démocrate en vue de l’élection au poste de sénateur (la titulaire du poste ayant choisi de ne pas se représenter), fait campagne sur des thèmes « progressistes » (lutte contre le changement climatique, hausse du salaire minimum, interdiction de la vente de fusils d’assaut…), obtient le soutien de Barack Obama et de Joe Biden et est confortablement élue avec 61,6 % des voix. Devenant ainsi la première sénatrice d’origine indo-américaine et, seulement, la deuxième Afro-Américaine. Au Congrès, elle est membre du Black Caucus et de l’Asian Pacific American Caucus (qui réunissent les parlementaires issues des deux communautés). « Je crois, aime-t-elle répéter, que notre pays désire et a besoin de dirigeants capables d’incarner une vision de la nation dans laquelle chacun peut se reconnaître. » Chacun, c’est-à-dire aussi les femmes et les personnes issues de « minorités ». Joe Biden est incapable d’incarner cette Amérique-là et il en a parfaitement conscience. Kamala Harris, elle, le fait mieux que bien.

Mais la complémentarité entre les deux membres du ticket démocrate va beaucoup plus loin. Face à un Biden consensuel et centriste – même s’il a, après la primaire, fait en sorte de gauchir sa campagne pour séduire les nostalgiques de Bernie Sanders –, l’ex-procureure revendique un positionnement bien plus « progressiste ». Opposée à la peine de mort, elle s’était engagée à ne jamais la requérir contre un accusé et a tenu parole. Elle a exigé que les forces de l’ordre suivent des formations pour combattre d’éventuels préjugés racistes, a imposé les caméras-
piétons et la publication des informations en cas de décès provoqué par la police, a fait promulguer des lois protégeant les minorités sexuelles et, en 2018, faisait partie des sénateurs qui ont soutenu le texte de sa collègue Elizabeth Warren sur les risques climatiques. Elle a aussi apporté son parrainage au projet de couverture médicale pour tous de Bernie Sanders avant de proposer, en juillet 2019, un texte moins audacieux sur le sujet.

Forte notoriété

Dans une certaine mesure, Kamala Harris reflète fidèlement le virage à gauche opéré ces dernières années par le Parti démocrate et doit ramener vers Joe Biden les électeurs qui auraient voulu voir Sanders ou Warren remporter la primaire. Par ailleurs, et c’est à la fois sa force et sa faiblesse, elle est bien plus centriste qu’elle n’aimerait parfois le faire croire, ce qui lui a valu beaucoup de critiques de la part de la gauche californienne lorsqu’elle était procureure. On lui reproche notamment de n’avoir rien fait pour lutter contre l’énorme proportion d’Afro-Américains qui peuplent les prisons de l’État, de s’être vantée d’être « la première flic de Californie » (elle reste très populaire dans la police), mais aussi de s’être montrée trop conciliante avec certaines grandes banques lors de la crise des subprimes de 2008. Faiblesse, donc, dans la mesure où une partie des électeurs démocrates les plus radicaux n’est pas dupe de ses déclarations progressistes. Mais force aussi parce que l’ambivalence de son bilan suffit à ridiculiser les attaques du camp Trump qui cherchent obstinément à la présenter comme un « cheval de Troie de la gauche radicale ».

Enfin, et peut-être surtout, l’un des grands atouts de Kamala Harris est d’avoir su conserver sur le terrain politique la ténacité qui la caractérisait lorsqu’elle était procureure. Éloquente et inspirée, autoritaire sans être glaçante, la sénatrice de Californie est une débatteuse redoutable, comme Joe Biden lui-même a pu s’en rendre compte à ses dépens. Vite nommée à la commission judiciaire du Congrès, c’est elle qui a mené la plupart des interrogatoires de hauts responsables républicains impliqués dans les différentes affaires qui ont émaillé le mandat du président Trump, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle ne leur a pas fait de cadeau. Betsy DeVos, candidate malheureuse au secrétariat à l’Éducation, Rod Rosenstein, procureur impliqué dans l’éviction du chef du FBI James Comey, ainsi que son supérieur Jeff Sessions, interrogé sur le même sujet : tous sont ressortis sonnés, lessivés, parfois même humiliés de leur face-à-face avec Kamala Harris. Qui y a gagné une forte notoriété et une grande popularité auprès de nombreux opposants à Donald Trump.

Future présidente ?

Mais c’est le juge conservateur Brett Kavanaugh, auditionné à l’automne 2018 dans le cadre de sa nomination à la Cour suprême, qui a le plus souffert de ces confrontations publiques. Poussé dans ses retranchements à propos de possibles interférences sur le rapport Mueller – qui concernait la possible destitution du président –, accusé d’agression sexuelle, le magistrat a été proprement laminé par la sénatrice, au point que Donald Trump s’est senti obligé de donner son point de vue, qualifiant sur Twitter l’élue démocrate d’« extraordinairement méchante ». Avant d’ajouter : « C’est, pour ce que j’en sais, la plus libérale de tous les sénateurs des États-Unis ». « Libéral » étant ici, naturellement, synonyme de « gauchiste enragé ».

En choisissant Kamala Harris pour le poste de vice-présidente, les démocrates n’ont qu’un espoir : qu’elle poursuive sur la même voie et continue, après novembre 2020, à mener la charge anti-Trump sur le plan judiciaire, quel que soit le résultat du scrutin.

En optant pour un ticket Biden-Harris, le parti a bien pesé tous les termes de l’équation. Un homme âgé et réputé malade plus une femme jeune et en pleine forme. Un centriste à la peau blanche et une progressiste – ou prétendue telle – reflétant la diversité ethnique du pays. À ces atouts, Kamala Harris ajoute celui d’être une politicienne expérimentée, juste assez radicale pour séduire la gauche sans pour autant effaroucher l’électorat centriste, voire les républicains modérés.

Un point particulièrement important pour ce scrutin, car Joe Biden sera, s’il est élu, le plus vieux président à entrer à la Maison-Blanche. Il est donc possible qu’il ne fasse qu’un mandat. Possible aussi, certains le murmurent, qu’il ne soit pas capable d’assumer ses fonctions pendant quatre ans. Dans un cas comme dans l’autre, Kamala Harris serait la mieux placée pour lui succéder. Ce n’est donc pas seulement une vice-présidente que les démocrates se sont choisie. C’est peut-être la future première femme – afro-américaine qui plus est – présidente des États-Unis.

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