Kérozène de Adeline Dieudonné : la note de lecture de Jean-Louis Gouraud.

Kérozène est le nouveau livre très attendu d’Adeline Dieudonné après son bestseller La Vrai Vie – 250 000 lecteurs- qui  vient de sortir aux éditions L’Iconoclaste. Jean-Louis Gouraud l’a lu pour La Revue pour l’intelligence du monde. Voici sa note de lecture.

L’odeur du sang

« 23 h 12. Une station-service le long de l’autoroute, une nuit d’été. Si on compte le cheval mais qu’on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise. »

Un roman qui commence comme ça, on se dit que c’est forcément un bon livre, et qu’on a sans doute affaire à un vrai écrivain.

C’est le cas. L’auteur (l’autrice) en est une étoile surgie soudain, en 2018, au firmament des Lettres en publiant un premier roman, « La vraie vie », qui a raflé aussitôt quantité de prix littéraires (dont le Renaudot des lycéens, le Prix Fnac, le Grand Prix des lectrices de Elle) et connu un succès planétaire (traduit en plus de vingt langues).

Ce n’était pas une étoile filante : Adeline Dieudonné vient de récidiver avec un étonnant thriller dont le titre, « Kérozène », évoque bien l’odeur et l’ambiance de l’endroit où tout va se passer : une station à essence, dans laquelle le lecteur pourra faire le plein non pas de carburant mais d’émotions, de stupeurs et, si tout se passe bien, de jubilations.

Comme elle l’annonce dès la première phrase, l’écrivaine va y mettre en scène quatorze personnages : quatorze chapitres, quatorze portraits, quatorze aventures, qui vont petit à petit se ramifier les unes aux autres pour constituer, in fine, un ensemble (presque) cohérent. Certes, ces acteurs ne se retrouvent là, dans cette sinistre station-service, que par pur hasard, de façon totalement fortuite, oui, et pourtant…

Quand on voit Adeline Dieudonné (à la télé, par exemple, ou au théâtre, ou au cinéma – parce qu’elle est aussi comédienne), on est immédiatement séduit par son charme, son sourire, sa douceur. Se dégage d’elle une sorte de tranquillité, de bienveillance, qui fait un peu penser à Blanche Gardin, cette autre comédienne capable de proférer de façon totalement impavide les pires horreurs ou les pires grossièretés.

Il y a de cela chez Adeline Dieudonné lorsqu’elle décrit une scène où, tout à coup, ses personnages se déchaînent, passent sans transition d’un comportement ordinaire à une explosion de violence (sexuelle, ou criminelle). C’est ce décalage d’attitude, cette rupture de ton, cette soudaineté qui constituent la force irrésistible du style de Adeline Dieudonné. 

À la voir, on lui donnerait bien, comme son patronyme le suggère, le bon Dieu sans confession. Mais à la lire, on comprend que c’est en fait le diable qui l’habite. Qui habite, du moins, les quatorze personnages dont elle brosse, chapitre après chapitre, le portrait.

Il y a par exemple Chelly, une superbe fille, « les fesses moulées dans un Levi’s low waist taille 26, son ventre tendu sous une chemise à carreaux nouée juste au-dessus du nombril, ses bras sculptés par des années de pole dance » : une espèce de Barbarella qui va subitement se transformer, sans crier gare, en Cruella. Il y a Victoire, une autre jolie fille qui, allez savoir pourquoi, déteste les dauphins (il est vrai que ces derniers ont avec elle des comportements indécents). Il y a un dépanneur de nuit, Loïc ; une baby-sitter philippine, Alika ; un couple de gynécologues obsédés ; un chien appelé Bidule, un loup mort, un représentant de commerce « en intrants alimentaires pour élevage industriel ». Toute cette pittoresque humanité se croise, se mêle, s’entremêle dans de formidables enchevêtrements et, souvent, de parties de jambes en l’air. Le sexe, en effet, est un des thèmes favoris de Adeline Dieudonné, qui paraît être aussi extrêmement sensible aux odeurs de toutes natures.

Et puis, au beau milieu de ce grand chambardement humain, trop humain, il y a un cheval.

Que vient-il faire là ? On ne sait pas très bien, mais il est le bienvenu, car c’est à lui que Adeline Dieudonné consacre la plus tendre, le plus paisible (et le plus long) de ses quatorze chapitres. Ce serait même charmant si Adeline ne pouvait s’empêcher de s’arranger pour que l’histoire finisse mal : dans un bain de sang, comme d’habitude.

N’allez pourtant pas croire que « Kérozène » soit un roman noir. Adeline Dieudonné a une façon si cocasse de raconter les situations les plus pathétiques, les crimes les plus horribles, les comportements les plus lamentables, qu’on ne peut les lire qu’en souriant et (en culpabilisant un peu) en y prenant un réel plaisir.

Jean-Louis Gouraud

« Kérozène »de Adeline Dieudonné (éditions L’Iconoclaste, 260 pages, 20 euros).

#kérozène, #adelinedieudonné

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