Valéry Giscard d’Estaing : « La frustration de l’œuvre inachevée. »

L’ex-président Valéry Giscard d’Estaing (VGE) vient de nous dire, pour reprendre sa célèbre formule, « un au revoir », cette fois définitif. Il avait 94 ans tout juste.

Il s’est éteint des suites du Covid-19 dans sa propriété d’Authon, dans le Loir-et-Cher, où il séjournait depuis le début du confinement. Il avait été hospitalisé à plusieurs reprises les semaines précédentes au Centre hospitalier universitaire Trousseau, à Tours, pour des insuffisances cardiaques.

C’est bien une grande figure de la Ve République qui nous quitte à son tour. Il restera dans nos mémoires comme celui qui a dirigé la France de 1974 à 1981, en échouant à un deuxième mandat face à François Mitterrand et sa « force tranquille ».

Issu d’une grande famille bourgeoise, polytechicien et énarque, il n’avait que 48 ans lorsqu’il a accédé à l’Élysée, devenant le plus jeune président français. Il disait admirer deux hommes, le général de Gaulle et Jean Monnet, père de l’Europe. ll s’était distingué sous les ordres du maréchal de Lattre de Tassigny lors de la Libération, puis pendant huit mois en Allemagne et en Autriche jusqu’à la capitulation du Reich.

Souffle de liberté, modernité, proximité et renforcement de l’axe franco-allemand : c’est ce que l’on retiendra avant tout de son mandat après les années De Gaulle et Pompidou. On lui doit l’abaissement de la majorité à 18 ans, la dépénalisation de l’avortement. Valéry Giscard d’Estaing est également à l’origine de la loi du collège Unique – Loi Haby du 11 juillet 1975- Il a réformé le Conseil Constitutionnel en donnant aux parlementaires la possibilité de contester la constitutionnalité d’une loi et il refondu le paysage audiovisuel – Eclatement de l’ORTF en 1975-

Amateur passionné d’accordéon, il était simple d’accès. Ainsi il s’était invité chez les Français pour dîner, apparaissant simplement à la télévision. Autre geste fort : le petit déjeuner de Noël à l’Elysée, qu’il avait offert à des éboueurs maliens.  « Il s’inspirait ouvertement de Kennedy, il l’avait rencontré et ça l’avait beaucoup marqué », notait ce matin Patrice Duhamel.

Marié à Anne-Aymone, Valéry Giscard d’Estaing était le père de quatre enfants. Il avait perdu, le 16 janvier 2018, sa fille Jacinthe, qui avait succombé à l’âge de 57 ans d’un cancer. Elle était apparue en 1974 sur les affiches sa campagne à côté de son slogan : « La paix et la sécurité ».

Valéry Giscard d’Estaing avait dû surmonter la démission de son Premier ministre, Jacques Chirac, en 1976. Cela contribuera, du reste à l’échec de sa réélection en 1981 – ce dernier se présentant contre lui et François Mitterrand –

Initiateur du G7, le club des dirigeants des pays les plus riches, il entretenait une relation toute particulière avec le chancelier allemand, Helmut Schmidt. L’un de ses grands chantiers sera l’Europe. C’est pendant son mandat qu’est apparu le début du ralentissement économique consécutif au choc pétrolier. Son nom restera également associé à des affaires : suicide suspect de son ministre Robert Boulin, diamants offerts par le président centrafricain Bokassa.

On retiendra aussi ses petites phrases célèbres :
« Tout le monde doit être bilingue dans une langue et en parler une autre »
– « Il n’y aurait pas tant de malaise, s’il n’y avait pas autant d’amateurs de malaise.»

Et bien sûr, ces fameuses répliques lors du débat présidentiel de 1981 face à François Mitterrand : « D’abord, je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, monsieur Mitterrand, le monopole du cœur. Vous ne l’avez pas. »

« M. Mitterrand, vous gérez le ministère de la parole depuis 1965 et moi je gérais la France. Vous êtes l’homme du passé. » Réplique du tac au tac du candidat socialiste : « Et vous, l’homme du passif. »

Dans ses Mémoires, Le pouvoir et la vie, Valéry Giscard d’Estaing écrivait en 2006 : « Ce que je ressens, ce n’est pas de l’humiliation, mais quelque chose de plus sévère : la frustration de l’œuvre inachevée. »

Après son départ de l’Elysée, il s’était consacré à l’Europe, oeuvrant à la création du Comité pour l’Union monétaire de l’Europe ( 1986) avec l’ancien vice chancelier allemand, Helmut Schmidt. Il avait été élu député au Parlement européen de 1989 à 1993 avant d’être nommé président de la Convention européenne chargée d’élaborer une Constitution pour l’Europe en 2001. Il avait également été député de 1993 à 2002 avant de rejoindre en 2004 le Conseil constitutionnel où il était membre de droit.

Les réactions en France et à l’étranger sont nombreuses :

Emmanuel Macron, qui s’est exprimé hier soir à la télévision, salue un chef d’État dont « le septennat transforma la France . (…)  Les orientations qu’il avait données à la France guident encore nos pas. Serviteur de l’État, homme politique de progrès et de liberté, sa mort est un deuil pour la nation française (…) J’appartiens à une génération née sous sa présidence et qui n’a pas toujours mesuré à quel point il avait changé la France pour elle. (…)  Par son œuvre, sa pensée, son action, il habite aujourd’hui nos vies. Ce qu’il a accompli nous accompagne toujours (…)Il a présidé à une profonde mutation de notre pays. Il a fait entrer la France dans une modernité sociale, institutionnelle. (…) Il a regardé notre pays en face avec les yeux d’une génération nouvelle qui a voulu le progrès sans sacrifier nos libertés ».

Même hommage appuyé de François Hollande : « Il demeurera l’homme qui a modernisé la France. Son septennat a été marqué par de grandes réformes comme la majorité civile à 18 ans, l’accès à l’IVG pour les femmes, la généralisation de la protection sociale. Résolument européen, il a contribué au renforcement du couple franco-allemand, à la mise en place de l’union monétaire et à l’ouverture du Marché commun. Aujourd’hui, notre pays perd un homme d’État qui a fait le choix de l’ouverture au monde et qui pensait que l’Europe était la condition pour le France soit plus grande. »


Et d’un autre ancien président de la Ve République, Nicolas Sarkozy : « Il aura toute sa vie œuvré au renforcement des liens entre les nations européennes, cherché et réussi à moderniser la vie politique, et consacré sa grande intelligence à l’analyse des problématiques internationales les plus complexes. Il est un homme qui a fait honneur à la France, un homme pour qui j’ai éprouvé de l’admiration et avec qui j’ai toujours eu plaisir à débattre ».

L’Allemagne « perd un ami » a indiqué la chancelière Angela Merkel. « Avec Valéry Giscard d’Estaing, la France a perdu un homme d’État, l’Allemagne un ami et nous avons tous perdu un grand Européen« .

Ses obsèques seront célébrées dans la plus stricte intimité, avait fait savoir sa famille. Dans l’hommage qu’il lui a rendu hier soir le président Macron a précisé :  » Par pudeur, Valéry Giscard d’Estaing ne souhaitait pas que soit organisé un hommage national. Ses obsèques auront lieu dans l’intimité familiale. Je décréterai un jour de deuil national le mercredi 9 décembre. Les Français qui le souhaitent pourront écrire quelques mots d’hommage dans nos mairies, et à Paris au musée d’Orsay, ce haut lieu de culture que nous lui devons ».

N. P.

#ValéryGiscardd’Estaing, #VGE

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Le numéro 90 (octobre-novembre-décembre 2020) de La Revue,
dans lequel vous pourrez lire entre autres un article de quatre pages (par Olivier Marbot)
sur Kamala Harris, nouvelle vice-présidente des États-Unis.

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