Les archives de La Revue. Secret d’histoire : le 11 septembre de George W.Bush

Le 11 septembre 2001, les deux tours du World Trade Center, symboles de la puissance américaine, sont l’objet d’une attaque d’un genre complètement nouveau. La Revue avait demandé à l’historien Georges Ayache, spécialiste des états-Unis, de raconter – dans le numéro 67, daté de septembre-octobre 2016- cette folle journée, vécue du côté présidentiel. Nous republions son texte.

Par Georges Ayache

Au matin de ce mardi 11 septembre 2001, une chaleur lourde s’abat déjà sur New York. Une journée splendide s’annonce. Sur la chaîne ABC, l’émission Good Morning America prévoit une température de 21°C. La presqu’île de Manhattan offre un spectacle d’une beauté inouïe avec les gratte-ciel du downtown reflétant à l’infini les rayons du soleil. 

Il est 8h45 précises lorsqu’un panache de fumée noirâtre s’élève -soudain d’une des Twin Towers, les tours jumelles du World Trade Center aux parois parfaitement lisses qui sont la fierté des Américains du haut de leurs 110 étages et de leurs 420 mètres. Selon les quelques témoins, une boule de feu gigantesque se serait abattue sur un des bâtiments. Et -soudain New York, la « ville qui ne dort jamais », s’arrête brusquement avec un avant-goût d’horreur.

Depuis un peu plus de six mois, George Walker Bush occupe la -Maison-Blanche. Le 43e président des états-Unis n’est pas populaire. Les démocrates et les libéraux le détestent, tandis que de nombreux -républicains le tiennent en suspicion. Loin d’être un inconnu, « W » comme on l’appelle, est l’héritier d’une sorte de dynastie à l’américaine qui a déjà compté un président, le 41e, George Herbert Walker Bush. 

Avec l’entrée dans le siècle nouveau, l’Amérique aspire au calme. Plus de guerre à mener, comme dans les années 1990, et pas davantage de croisade contre un hypothétique « empire du Mal ». L’Union soviétique s’est écroulée et l’Amérique, en gagnant la guerre froide, est devenue l’unique superpuissance. Certains se plaisent déjà à prédire la « fin de l’Histoire ».

« Monsieur le Président on me dit qu’un avion vient de heurter la tour. Je ne sais rien d’autre. »

« W » Bush n’est pas un « va-t-en-guerre » malgré ses postures bravaches et sa démarche à la John Wayne. Sa présidence, il la voudrait paisible afin de pouvoir se consacrer à la grande réforme de la société américaine. Contesté dans le pays, tenu pour un ignare à l’étranger, il refuse que les conflits extérieurs à l’Amérique viennent dévoyer sa mission. En d’autres temps, il eût été isolationniste. En tout cas, sa patrie à lui est l’Amérique profonde, le Texas et pas New York. 

Ce 11 septembre 2001, George W. Bush a mis un point d’honneur à -respecter scrupuleusement l’heure matinale de l’école pour faire ce qu’aucun président n’a réalisé avant lui : visiter un établissement scolaire et même y faire la classe. La lecture pour les jeunes enfants, tel est le thème du jour dans cette école élémentaire Emma T. Booker de Sarasota, Floride. 

Il est 8h55 lorsque la limousine présidentielle s’immobilise devant -l’établissement, en centre-ville. Le président y est accueilli par son secrétaire de presse Ari Fleischer, bientôt rejoint par Karl Rove, accouru à grandes enjambées. Surnommé « Bush’s Brain » (le cerveau du président) par la presse, Rove a la mine des mauvais jours :

– « Monsieur le président, on me dit qu’un avion vient de heurter la tour Nord du World Trade Center à New York. On ne sait rien d’autre. J’appelle Tenet.« 

48 ans, George Tenet a été nommé directeur de la CIA par le président précédent. à ce moment, il prend tranquillement son –breakfast à l’hôtel Saint-Régis, non loin de la Maison-Blanche, en compagnie d’un ami sénateur. Un assistant se précipite vers lui, téléphone portable en main. Lorsqu’il raccroche, Tenet hoche la tête :

– « Le World Trade Center vient d’être attaqué. Mes gens sont convaincus que ce n’est pas un accident.« 

Il fait aussitôt convoquer à Langley, siège de la CIA, les hauts -responsables du renseignement : « Réunion à la situation room dans quinze minutes ! »

Bush, lui, n’imagine pas -d’emblée un attentat. Il croit -instinctivement à un accident causé par un petit avion de tourisme, non par un jet de ligne. En prenant place dans la salle de classe, face aux élèves -sagement assis, le président -renvoie à plus tard ce qu’il pense être une simple contrariété. Rove fait sûrement le -nécessaire avec Tenet et avec le tout -nouveau directeur du FBI, Robert S. -Mueller. Assis, les mains jointes sur les genoux, Bush a un faux-air d’inspecteur d’académie consciencieux, n’était sa mise un peu trop cérémonieuse.

9h05. Andrew H. Card, chef d’état-major de la présidence, fait soudain irruption et se dirige tout droit vers le président, lui -chuchotant quelques mots à l’oreille :

– « Un autre avion vient de -heurter la seconde tour du World Trade Center. On attaque l’Amérique, Monsieur le président !« 

Bush laisse repartir son chef d’état-major sans esquisser le moindre geste. Il ne va tout de même pas bondir de sa chaise et sortir de la salle en catastrophe. Les enfants assis sagement devant lui n’y sont pour rien et ont dû attendre sa venue pendant des semaines. Bush continue donc de parcourir les pages du livre de lecture et d’écouter les écoliers comme si de rien n’était… ou presque.

« Le terrorisme ne sera pas toléré conre notre nation. »

Sept à huit minutes s’écoulent ainsi, interminables. Le président félicite les écoliers et salue l’institutrice avant de s’éclipser à son tour de la salle de classe. L’horloge de l’école marque 9h17.

Branchée sur CNN, la télévision diffuse en direct les images des deux tours new-yorkaises en flammes. Une minute seulement après le -premier crash, qui a pris tout le monde de court, la grande chaîne d’information a fait enclencher à distance l’une de ses caméras fixes, braquée en -permanence sur la ligne d’horizon de Manhattan. Les autres grandes chaînes, CBS, NBC et ABC, lui ont aussitôt emboîté le pas. On parle d’un Boeing 767 d’American Airlines parti de Boston pour Los Angeles avec -cinquante-six passagers et neuf membres d’équipage sur le vol 175 de 7h58. -Comment ont-ils pu se retrouver à -percuter la tour Nord du World Trade Center ?

Plus spectaculaire encore, on repasse à présent en boucle les images du second crash, celui du Boeing 767 d’United Airlines qui devait suivre le même trajet Boston-Los Angeles que le vol 175. à peine croyables et comme extraites d’un mauvais film de fiction, ces images-là d’un jet de ligne de 175 tonnes s’encastrant dans la tour Sud du World Trade Center à plus de 500 km/h ont été vues en direct par des millions d’Américains littéralement terrifiés. 

Le traumatisme gagne également les autorités. Assisté par ses -collaborateurs, le président griffonne à la hâte des éléments de note. Il est 9h31 lorsqu’il s’adresse à la presse :

– Nous avons vécu aujourd’hui une tragédie nationale. J’ai donné l’ordre que tous les moyens soient mis en place par le gouvernement afin d’aider les victimes et leur famille. Le terrorisme ne sera pas toléré contre notre nation.

Son intervention à peine achevée, Bush est porté littéralement vers sa limousine par les agents du Secret service. Direction : l’aéroport -international de Sarasota Bradenton. Les gardes du corps sont nerveux. Dans la -précipitation, le président gravit quatre à quatre les marches de la passerelle d’Air Force One. Une fois installé à bord, il s’enquiert de la sécurité de la Première dame et de ses filles : « C’est déjà fait, Monsieur le président », s’entend-il répondre.

Minute par minute, Bush suit l’évolution de la situation sur les circuits de communication ultra-sécurisés d’Air Force One. à 9h39, juste après le décollage du jet présidentiel, on apprend qu’un Boeing 757 -d’American Airlines s’est écrasé sur le bâtiment du Pentagone à Arlington, en -Virginie. 

On évacue manu militari le vice-président Dick Cheney de son bureau, dans l’aile Ouest de la Maison-Blanche. Le Secret service a fait irruption sans frapper. Qui peut jurer que la prochaine cible ne sera pas la -présidence ? Cheney est conduit dans le bunker spécialement aménagé dans les -sous-sols de la Maison-Blanche pour les situations de crise. 

Malgré la panique générale, Cheney parvient à joindre le président :

– « C’est la guerre, Dick !« 

– « Oui, Monsieur le président. Il faut immédiatement interdire tout -mouvement aérien au-dessus de notre territoire. Et il faut que vous donniez l’ordre de faire abattre tout avion de ligne qui enfreindrait cette interdiction.« 

« Ne revenez en aucun cas à Washington, Monsieur le Président ! »

La décision est capitale. Les avions de ligne transportent par -définition des civils, mais comment savoir s’ils ne se trouvent pas aux mains de -terroristes ? Cheney parle d’un autre vol commercial d’United Airlines, sur la liaison Newark-San Francisco, dont on vient de perdre la trace -au-dessus de la Pennsylvanie. Lui aussi s’est détourné inexplicablement de sa trajectoire.

Le danger vient à présent de partout. Nul n’en connaît les tenants, les aboutissants, l’ampleur et encore moins les auteurs. On sait seulement qu’un complot vise l’Amérique. à Pearl Harbor, au moins, on connaissait les agresseurs et l’on pouvait imaginer leurs desseins.

L’autorisation de tirer est accordée. Déjà les contrôleurs aériens de Washington forcent les appareils détectés sur leur radar à atterrir d’extrême urgence.

Au département d’état, le secrétaire adjoint Richard Armitage fait -alerter en urgence absolue son patron Colin Powell qui se trouve au Pérou à une réunion de l’Organisation des états d’Amérique. Powell devise avec le -président péruvien Alejandro Toledo lorsqu’on lui glisse une note -arrachée à la hâte d’un bloc à spirales. Ses vieux réflexes de chef -d’état-major des armées qu’il a été naguère n’ont pas disparu. Le secrétaire d’état repart toutes affaires cessantes à Washington avec la perspective d’un vol harassant de sept heures sans escale. 

Pendant ce temps, une vidéoconférence réunit les experts et les responsables de sécurité au niveau le plus élevé. Sur les écrans de contrôle, la conseillère -nationale de -sécurité Condoleezza Rice flanquée de Richard Clark, son coordinateur pour le contre-terrorisme. On y distingue aussi Robert Mueller. Un type du FBI lui glisse quelques mots à l’oreille qui le font tressauter d’effroi :

– « On vient d’attaquer le Pentagone !« 

à l’intérieur d’Air Force One, la pendule marque 10h30, heure de -Washington. Dick Cheney appelle de nouveau :

– « Ne revenez en aucun cas à Washington, Monsieur le président ! On vient de recevoir un câble ainsi libellé : « Angel sera le prochain. » 

« Angel » est le nom de code d’Air Force One. Seuls quelques rares -initiés habilités au plus haut degré du « secret défense » le connaissent. Mais George W. Bush s’est repris, retrouvant ce côté cow-boy qui horripile tant l’élite washingtonienne : « On va découvrir qui a fait ça et on va leur botter le cul ! » Puis, à l’adresse de son staff rapproché : « C’est pour ça qu’on est payé, les gars. Quand on aura trouvé les salauds qui ont fait ça, ils ne vont pas aimer m’avoir comme président ! » 

Pas question de retourner atterrir à la base d’Andrews. Sur les écrans de télévision d’Air Force One se succèdent les images de la tragédie new-yorkaise. Bush est en ligne avec Cheney lorsque la seconde tour percutée s’effondre sur elle-même, dégageant un formidable nuage de poussière qui submerge instantanément le downtown et les gratte-ciel du quartier financier de Wall Street. Vingt-huit minutes plus tard, à 10h29, la tour Nord explose à son tour dans une effrayante éruption de débris. Sous le regard impuissant des Américains et de leur président, New York sombre dans le cauchemar. 

Les rues de Manhattan sont devenues désertes. Après le cataclysme s’est installé un silence de cathédrale impressionnant, angoissant. Pas de voiture, pas de Yellow Cab, pas de transport public. Aucune trace de la frénésie new-yorkaise habituelle. Juste les sirènes d’ambulances, les crissements de pneus des voitures de police. Et des gens, par centaines, par milliers, déambulant dans les rues, hagards, sans but. Formant un gigantesque cortège funèbre, les New-Yorkais fuient à pied le downtown. Du sang coule sur les visages couleur de cendre. Le regard vide, -commotionnés, maculés de poussière, ce sont les rescapés de l’enfer.

Dans le périmètre des deux tours disloquées, la moitié Sud de -Manhattan a disparu sous les gravats. Une couche épaisse de poussière a tout -enveloppé. Les hôpitaux sont débordés. 

A Times Square s’active Rudolph Giuliani, le maire de New York, -véritable capitaine-courage dans la détresse, qu’on surnommera bientôt le « maire de l’Amérique ». 

C’est la guerre, alors autant le faire savoir. » 

Ce cauchemar collectif, le président Bush en prend la mesure à la télévision comme tout Américain et comme des dizaines de millions de gens à travers le monde. 

Au Pentagone, malgré l’information des attentats, Donald Rumsfeld a continué son briefing quotidien avec les gens du renseignement. Il a été interrompu, bien sûr, lorsque le Boeing 757 d’American Airlines s’est écrasé sur la face Ouest du Pentagone. La sécurité a dû littéralement le forcer à se replier sur la grande salle du Centre de commandement militaire national.

A Washington, on commence à s’étonner que le leader de la nation se soit volatilisé dans la nature.

Personne ne sait que Bush a littéralement été empêché par les -services de sécurité, et contre sa propre volonté, de rentrer directement à -Washington. La tension règne d’ailleurs à l’intérieur d’Air Force One. On demande aux journalistes accrédités de ne plus téléphoner et même d’éteindre leurs appareils afin de ne pas donner d’indication sur la localisation de l’avion présidentiel. 

Trois quarts d’heure après le décollage de Sarasota, la décision est prise de prendre le cap de la base aérienne d’Offutt dans le Nebraska. Là se trouve le Strategic Air Command, cœur de la puissance nucléaire américaine, dont les installations sont les plus sécurisées du pays. Grâce à une liaison vidéo hautement protégée, le président pourra communiquer en temps réel avec Washington.

Les proches du président insistent toutefois pour qu’on puisse lui -ménager auparavant une courte escale. On choisit la base de Barksdale, en Louisiane, où Air Force One atterrit à 12h15, escorté par deux avions de chasse. Vingt minutes plus tard, Bush fait sa seconde déclaration publique. Visiblement à bout, le président s’exprime péniblement, butant sur les mots :

– « La lâcheté sans visage s’en est prise ce matin à la liberté et la liberté se défendra. Ne nous y trompons pas, les états-Unis poursuivront et puniront les responsables de ces viles attaques.« 

A cet instant, le Pentagone porte le niveau d’alerte à DefCon 3. C’est la première fois, depuis la guerre israélo-arabe de 1973, que ce niveau est aussi élevé. On apprend également que les porte-avions USS John F. -Kennedy et USS George Washington ont reçu la mission de prendre position au large de la côte Est des états-Unis.

Dans les milieux financiers, l’émoi est non moins palpable. à Wall Street, situé à moins de cinquante mètres à vol d’oiseau des tours jumelles, le New York Stock Exchange n’a évidemment pu tenir sa séance.

Le président de la Réserve fédérale Alan Greenspan a également le réflexe de revenir sur le champ de son voyage en Suisse. Mais son avion est bloqué par l’interdiction générale de survol du territoire américain. Il doit rebrousser chemin, non sans avoir pu s’assurer auprès de son -vice-président que toutes les précautions ont été prises pour protéger le fonctionnement du système bancaire. 

13h30. Air Force One quitte la base de Barksdale. Exaspéré, Bush passe ses nerfs sur Andrew Card :

– « Cette fois, cela a assez duré. Je veux rentrer chez moi, Asap » (As soon as possible). 

On lui répète que la situation ne le permet pas. Le Secret service y est formellement opposé ainsi que Dick Cheney. Usant de trésors de diplomatie, Card lâche au passage une formule aussi malheureuse qu’involontaire :

– « Il faut laisser la poussière retomber…« 

Air Force One prend la direction d’Offutt. Sur place, le président joint immédiatement le secrétaire à la Défense. Il n’en revient pas encore des conditions dans lesquelles le Pentagone a été attaqué :

– « Incroyable ! On va remettre tout ça en ordre et la balle sera alors dans votre camp et dans celui de Dick Myers.« 

Chef d’état-major adjoint des armées, le général d’aviation Richard B. Myers vient d’être -désigné pour prendre la succession de son supérieur direct, le général Henry B. dit « Hugh » Shelton.

Rumsfeld hoche la tête en signe d’approbation. Ce natif de la banlieue de Chicago, 69 ans, passe pour un dur à cuire. Dans le temps, certains voyaient en lui un « JFK républicain ». Si George Bush Sr l’a -longtemps ignoré, ce n’est pas le cas de « W » Bush qui l’a appelé à la tête du Pentagone, un poste qu’il a déjà occupé quinze ans plus tôt. Homme de caractère, Rumsfeld n’a pas son pareil pour « botter le cul » des généraux étoilés et ne tolère ni l’imprécision, ni le travail bâclé. Il est un des piliers de la garde rapprochée du président au même titre qu’un Cheney. 

« Al-Qaïda est derrière ces attentats, Monsieur le Président.« 

Ayant la réputation d’avoir toujours un coup d’avance, Rumsfeld réfléchit à la suite : à l’Afghanistan, au Pakistan et surtout à la centrale terroriste -Al-Qaïda et à son chef Oussama Ben Laden. Ce sont sans doute les responsables de toute cette tragédie. Eux seuls sont capables de concevoir des opérations aussi bien coordonnées et d’une telle envergure. Ils ont failli réussir lors de la première attaque contre le World Trade Center en 1993. Depuis lors, ils ont multiplié les attentats contre des ambassades -américaines en Afrique et ont même réussi une attaque à l’embarcation piégée contre le destroyer USS Cole, en octobre 2000 dans le port yéménite d’Aden. 

George Tenet est en phase avec Rumsfeld. 

Le président Bush se trouve encore dans le Nebraska lorsque se tient la première réunion du Conseil national de sécurité. Celle-ci débute à 15h30 et Tenet est au briefing :

– « Al-Qaïda est derrière ces attentats, Monsieur le président.« 

– « Vous en êtes absolument certain, George ?« 

– « Affirmatif. Trois militants d’Al-Qaïda se trouvaient à bord du vol 757 d’American Airlines qui s’est écrasé sur le Pentagone. On dispose d’écoutes téléphoniques allant dans le même sens. » 

– « Pourquoi n’être pas intervenu plus tôt ?« 

– « On savait que quelque chose allait se passer, Monsieur le président. Ce qu’on ne savait pas, c’était le jour de l’attaque, son lieu ainsi que les modes opératoires qui allaient être employés.« 

– « George, ce n’est pas seulement un acte terroriste. Ce qui s’est passé aujourd’hui est un acte de guerre.« 

Le président reste toutefois sceptique sur l’interdiction du trafic aérien :

– « On ne peut retenir les avions au sol indéfiniment et geler l’activité normale du pays.« 

George Tenet intervient de nouveau :

– « Avant de laisser les avions repartir, il -faudrait comprendre comment on a pu -déborder le service de sécurité des aéroports.« 

Au cours du très long exposé de Tenet, les échanges se font plus vifs, certains ne goûtant pas la manière qu’a le patron de la CIA de se défausser de ses propres erreurs. De son côté, « Condy » Rice a la nette impression que son patron a l’esprit ailleurs. 

En fait, au soir du 11 septembre, Bush a des impératifs plus urgents : 

– « On ne va pas se laisser prendre en otage par une poignée de fous furieux. Nous -rouvrirons de nouveau les aéroports dès demain midi ! » 

Plus facile à dire qu’à faire. Les choses ne peuvent revenir aussitôt à la normale sur simple décision présidentielle. 

– « Je n’exclus pas que les terroristes puissent encore nous attaquer ! Vous-même, Monsieur le président, n’êtes pas encore tout à fait en sécurité.« 

Rumsfeld intervient de nouveau. On prétend qu’il ne peut rester muet très longtemps. Brian Stafford, directeur du Secret service, opine du chef :

– « Monsieur le président, vous devez rester où vous êtes pour le moment.« 

La volonté présidentielle s’abat cependant tel un couperet :

– « Cette fois, pas question. Je rentre !« 

Soupirs de résignation. Personne n’a le pouvoir de s’opposer à cette volonté.

à 18h30, retour à la Maison-Blanche, George W. Bush est prêt à reprendre les commandes. Sa priorité est de s’adresser solennellement à la nation américaine le plus vite possible. 

Les deux précédentes interventions présidentielles n’ont pas été bien fameuses en matière de communication. Elles ont même produit -l’impression déplorable d’un homme aux abois, s’exprimant à la sauvette et sous le coup de l’émotion. Il faut absolument imposer une tout autre image : celle d’un chef, maître de lui-même et reprenant son poste de combat dans un pays en guerre.

« Ceci n’est pas seulement un acte terroriste. C’est un acte de guerre. » 

Le discours à la nation n’est pas un exercice aisé et exclut le droit à l’erreur. Chaque mot doit être soigneusement pesé. Les deux –speechwriters habituels du président y travaillent fiévreusement. L’un d’eux, Michael Gerson, met en exergue la phrase clé que Bush vient de prononcer au Conseil national de sécurité : « Ceci n’est pas seulement un acte terroriste. C’est un acte de guerre. » 

Paradoxalement, Bush ne veut pas en entendre parler : « Supprimez ça. Nous devons rassurer les gens, nous ne devons pas ajouter à leur angoisse. » Karen Hughes, la conseillère spéciale du président, est de cet avis. Tout au long de cette journée du 11 septembre, la jeune femme se sera -retrouvée en première ligne face à la presse, affrontant du mieux possible les questions insistantes des journalistes. Plus heureux cette fois, Gerson se rabat sur une idée déjà ancienne de Bush suivant laquelle l’Amérique ne fait pas de distinction entre les auteurs d’actes terroristes et ceux qui les hébergent. Cette idée est appelée à devenir la clef de voûte de la future « doctrine Bush ». 

Pour le moment, cependant, le pays n’est pas rassuré. Son chef promet la guerre mais contre qui ? Jusqu’à quand ? Et pour quels objectifs ? 

Condoleezza Rice s’en inquiète non sans lucidité. 

– « C’est une guerre apparemment indéterminée que vous proposez au pays, Monsieur le président, et non plus une simple action de représailles ciblées. Vous pourriez le dire plus tard. Il y aura d’autres occasions. »  

– « Non, je dois le dire maintenant. C’est la guerre, alors autant le faire savoir. » 

20h30. Du Bureau ovale, Bush lit sur un prompteur son discours de sept minutes. Le ton est grave mais dépourvu d’hésitation :

– « Aujourd’hui, notre pays a vu le Mal, ce qu’il y a de pire dans la nature humaine. Nous y avons répondu par ce qu’il y a de meilleur en Amérique : l’audace de nos sauveteurs, les soins portés à autrui. Personne n’oubliera jamais cette journée. » 

Peu auparavant, sur les marches du Capitole, les leaders du Congrès ont entonné en cœur God Bless America. Tous ne savent pas qu’au -lendemain de Pearl Harbor, leurs prédécesseurs avaient fait très exactement de même. à Lafayette Square, face à la Maison-Blanche, la foule se rassemble, silencieuse et encore sous le choc. Des drapeaux à la bannière étoilée sont hissés sur les grilles. Sur West Broadway, une gamine venue du Bronx avec ses parents tient à bout de bras une pancarte. Il y est écrit : « Nos cœurs sont brisés mais pas notre âme. » 

Une heure plus tard, Bush réunit un Conseil national élargi. -L’atmosphère y est sombre. Exténué par son voyage, Colin Powell participe aux débats. Le président prolonge la discussion en tenant un conseil de guerre improvisé avec ses principaux conseillers. Les services de sécurité ont insisté pour qu’ils émigrent dans le bunker de la Maison-Blanche, qui est inconfortable au possible. Mais à la guerre comme à la guerre ! 

Hautement sensible, la discussion porte sur les représailles à -envisager. Powell évoque d’emblée l’Afghanistan où il est notoire que le régime islamiste fondamentaliste des talibans, au pouvoir depuis 1996, héberge Al-Qaïda, ses camps d’entraînement et même son quartier -général. On assure même que Ben Laden y séjourne très fréquemment. 

– « C’est une formidable occasion ! Une chance d’améliorer les -relations avec de grandes puissances comme la Russie et la Chine. Il faut -réfléchir là-dessus. » 

Le président a retrouvé son mordant mais tout le monde n’est pas aussi enthousiaste. Rumsfeld se charge de refroidir l’atmosphère : les cibles ? Le délai pour agir ? Les preuves justifiant une telle action ? 

– « L’Afghanistan est un vrai défi. Un état grand comme le Texas, à dix mille kilomètres de chez nous, resté primitif, sans routes et infrastructures. -Difficile d’y trouver quelque chose à frapper… sans compter qu’il faudra du temps, peut-être deux mois, pour réaliser les frappes.« 

Demain sera un autre jour. Le président lève la séance et part se -coucher. Du moins croit-il pouvoir le faire. à 23h10, les agents de sécurité le tirent du lit en catastrophe :

– « Un avion non identifié semble se diriger vers la Maison-Blanche, Monsieur le président.« 

Peu auparavant, on lui a affirmé qu’un avion de ligne décollant du Reagan National Airport pouvait s’écraser sur la Maison-Blanche en moins de quarante secondes. Ce n’était plus une question de protection mais de fatalité. Encore en short et en t-shirt, le président est poussé à la hâte vers le bunker de la Maison-Blanche en compagnie de son épouse Laura. Sur leurs talons leurs chiens Spot et Barney qu’à la Maison-Blanche on surnomme « FDOTUS », First Dogs of the United States, en référence irrévérencieuse à l’appellation du président par les services secrets, POTUS (President of the United States). 

« Vous allez venir avec nous, c’est un ordre ! »

L’alerte passée, le couple présidentiel regagne ses appartements. Condoleezza Rice, elle, ne peut rejoindre sa résidence privée qui est située dans l’immeuble du Watergate, au bord du fleuve Potomac. Elle s’est déjà résignée à finir la nuit dans le bunker lorsque le président en personne intervient :

– « Pas question ! Vous allez venir avec nous, c’est un ordre. » 

A 46 ans, cette polyglotte bardée de diplômes et -professeur à Stanford fait un peu partie de la famille Bush qui l’appelle -familièrement par son diminutif, Condi. Conseillère de George Bush Sr pour les affaires soviétiques et est-européennes, elle est devenue une des cadors de la -politique étrangère de Bush fils. On lui prédit un -avenir brillant.

Ce soir-là, vaincu par le stress de cette journée hors normes, le président s’endort du sommeil du juste. Ce n’est pas le cas de Condi Rice, de Dick Cheney, de Donald Rumsfeld et de bien d’autres encore. Le pire reste encore à venir et ils le savent.

#11septembre, #alqaida, #bush

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