Un ambassadeur russe à Paris

Par Jean-Louis Gouraud

Le contraste est saisissant. Entre l’image plutôt rébarbative que donne souvent la Russie aujourd’hui (et l’Union soviétique hier) et l’apparence bonhomme de celui qui l’a représentée en France pendant près de quarante ans, il y a une dissemblance frappante.

L’ambassadeur Alexandre Orlov, en effet, est un personnage aimable, souriant, à l’aspect débonnaire : pas du tout celui de l’apparatchik qu’il a pourtant été.

Affecté au consulat de l’URSS en France dès sa sortie du fameux MGIMO, l’Institut des relations internationales de Moscou, d’où sont issus la plupart des grands diplomates (et, paraît-il, une bonne partie des espions) russes, le jeune diplômé a débarqué à Paris le 13 septembre 1971. Il s’en souvient comme si c’était hier : en descendant du train, gare du Nord, il a appris la mort, deux jours plus tôt, de Nikita Khrouchtchev !

De mutations en promotions, à Paris, Moscou ou Strasbourg, Alexandre Orlov n’a cessé, depuis lors, d’être en charge des relations entre son pays et la France, jusqu’à l’apothéose : sa nomination, en 2008, comme ambassadeur de la Fédération de Russie en France (et – il en est très fier – à Monaco !), poste qu’il a occupé – un record – pendant près de dix ans.

Ayant atteint l’âge de la retraite, il a accepté de confier ses souvenirs à un bon connaisseur des affaires internationales, l’éditorialiste (au Figaro) Renaud Girard. C’était prometteur : Alexandre Orlov a été un proche témoin, en effet, des contacts qu’ont entretenus Brejnev avec Pompidou, Gorbatchev avec Mitterrand, Eltsine avec Chirac, et Medvedev puis Poutine avec Sarkozy puis Hollande et Macron. Une mine d’anecdotes et, peut-être, de secrets.

Question secrets, le lecteur de ces Mémoires, sobrement intitulés Un ambassadeur russe à Paris (éditions Fayard, 2020), sera déçu. Question anecdotes, en revanche, il sera abondamment servi.

À lire ce livre, on a un peu la sensation d’écouter un grand-père bienveillant raconter sa vie d’une voix douce à ses petits-enfants sagement assis au coin du feu.

Cela commence par l’évocation d’une enfance qui rappelle opportunément qu’on pouvait être à la fois soviétique et heureux, à la fois soviétique et éduqué, à la fois soviétique et cultivé. Et cela se termine par le récit de ce qu’il considère comme l’aboutissement de sa carrière : la construction à Paris, en bord de Seine, d’une cathédrale orthodoxe, associée à un magnifique centre culturel.

Une fois ou deux seulement, l’ambassadeur s’autorise à élever la voix, à se fâcher un peu. C’est lorsqu’il évoque comment Sarkozy a contourné une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies à laquelle la Russie (présidée à l’époque par Dmitri Medvedev), d’abord réticente, avait fini par se rallier pour être agréable à Sarkozy, adoptée le 17 mars 2011 et prévoyant l’instauration d’un régime d’exclusion aérienne en Libye pour « se lancer dans une aventure militaire qui a conduit à l’assassinat barbare de Kadhafi et à la disparition de l’État libyen » (p. 190-191).

L’autre passage du livre dans lequel le doux Orlov ose hausser une peu le ton est celui dans lequel il évoque la présidence Hollande, marquée par le refus de livrer les navires « Mistral » commandés (et payés) par la Russie, et par l’annulation d’une rencontr avec Poutine lorsque ce dernier devait venir à Paris pour inaugurer le fameux centre cultuel et culturel : « Hollande, un président décevant », dit-il sobrement (p. 199).

Cathédrale russe de la Sainte-Trinité, quai Branly, à Paris. © D.R.

S’il n’y a dans ce petit livre agréable à lire aucune révélation, on admirera en revanche la capacité de son auteur à agrémenter l’exercice d’un métier parfois difficile de menus plaisirs tels que peuvent en offrir le contact direct avec le bon peuple de France ou l’écoute à la radio des refrains de Gilbert Bécaud ou de Mireille Mathieu (!). Grand amateur de chansonnettes, Alexandre Orlov aurait pu donner pour titre à son livre celui qu’avait chanté Joséphine Baker dans les années 1930 : J’ai deux amours : mon pays et Paris.

Alexandre Orlov avec Renaud Girard,
Un ambassadeur russe à Paris,
préface de Hélène Carrère d’Encausse,
Fayard, 2020,
272 pages,
20 euros.

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