Poutine et la présomption d’innocence

On peut critiquer Vladimir Poutine sans lui prêter tous les maux – et les empoisonnements – du monde.

Monsieur Poutine n’est pas un dirigeant spécialement soucieux ni de la liberté de la presse ni du droit des minorités. Il n’a qu’un respect très relatif pour les frontières de son pays héritées de ses anciens maitres soviétiques et il s’intéresse nettement plus à la modernisation de ses armes nucléaires qu’aux conférences sur le désarmement. Et, surtout, son soutien sans faille à Bachar el Assad est une des causes essentielles des horreurs commises en Syrie. Bref, ce n’est pas un chef d‘état particulièrement recommandable.

Mais, je ne pense pas qu’on puisse le considérer comme stupide.

S’il est acquis que le président de toutes les Russies n’est pas sot, on ne peut imaginer qu’il aurait pu se lancer dans l’empoisonnement de Sergueï Skripal et de sa fille, à Salisbury, en pensant que la Russie ne serait pas mise en cause. La plupart des poisons qui circulent sur la planète des terroristes … et des services spéciaux ne sont pas d’appellation d’origine contrôlée. Ils ne sont pas spécifiques d’un pays. Le novichok qui vient d’être utilisé sur le territoire de sa majesté britannique est l’exception qui confirme la règle. Dans le monde de la guerre chimique chacun sait que les neurotoxiques de la gamme novichok ont été fabriqués en Russie à la fin du régime des Soviets. Ils sont – parait-il – particulièrement difficiles à fabriquer. Je veux bien l’admettre, comme je suis persuadé que les réseaux terroristes non gouvernementaux n’en disposent pas.

En revanche, je serais bien étonné que ces produits, développés il y a une quarantaine d’années, n’aient pas été copiés dans les laboratoires des grands services secrets de la planète. Lesquels services secrets sont tout à fait capables de fabriquer de fausses preuves pour « défendre » ce qu’ils estiment l’intérêt supérieur de leur pays. Parfois en ne prévenant même pas leurs dirigeants ! Je n’oublie pas le général Colin Powell brandissant, à l’ONU, de fausses photos de satellites pour prouver l’existence d’armes de destruction massive dans l’Irak de Saddam Hussein. Je n’oublie pas non plus l’ordinateur, supposé appartenir à un savant Iranien, en fait fabriqué par les Israéliens et livré discrètement aux services allemands pour faire croire à la réalité du programme nucléaire militaire de Téhéran.

Imitation possible
Ces grands services secrets sont parfaitement capables de tuer Paul, non pour s’en débarrasser, mais pour faire croire que Jacques est le coupable. Ils en sont capables. Cela ne prouve pas qu’en l’occurrence ils l’ont fait. Ils peuvent très bien avoir empoisonné Sergueï Skripal et sa fille pour contrer Poutine, dont la politique au Moyen-Orient et en particulier vis-à-vis d’Israël est tout sauf claire. On peut imaginer aussi que certains ne voient pas d’un bon œil les contrats en matière d’énergie qui se préparaient entre la Russie et la Grande Bretagne. On peut imaginer… mais rien ne prouve actuellement que tel ou tel service secret est à l’origine de l’empoisonnement de Salisbury. On n’en sait rien ! Mais on ne sait pas non plus si Poutine l’a effectivement commandité. Une seule certitude : il avait moult moyens discrets pour se débarrasser de son ancien espion. Alors pourquoi aurait il voulu signer ostensiblement son acte? Je n’en ai aucune idée… ce qui ne prouve rien !

Bref, on ne sait rien. Les grands dirigeants occidentaux croient sans doute en savoir plus grâce à leurs propres services, mais l’histoire montre qu’ils ont souvent été intoxiqués par de fausses preuves complémentaires. Bref, une fois encore on ne sait rien. Alors, pourquoi condamner, pourquoi sanctionner sans preuves ?
La présomption d’innocence ne pourrait-t-elle s’appliquer aussi aux dirigeants des Etats ? Même quand on ne les aime guère !

Par Etienne Copel

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