Art contemporain et crottin de cheval

Jean-Louis Gouraud s’est rendu à l’exposition « Urban Riders », montée par le plasticien franco-algérien Mohamed Bourouissa. Bien que le cheval soit au coeur de l’exposition, cette dernière n’a pas (du tout) séduit notre chroniqueur.

Bon, je sais que je vais me faire mal voir, mais tant pis. Je n’ignore pas qu’il est des sujets auxquels il vaut mieux ne pas toucher si l’on ne veut pas passer pour une sombre brute, et que l’un de ces sujets est l’art contemporain, mais qu’importe : je passerai outre cette fois, pour dire tout le mal que je pense de l’exposition que nous inflige le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, un des temples du goût de notre époque, jusqu’au 22 avril de cette année 2018.

J’étais pourtant venu avec un préjugé favorable, l’expo s’intitulant « Urban Riders » et l’affiche montrant un cavalier monté sur un cheval caparaçonné de mille rubans multicolores qui flottent au vent. Le cavalier étant noir de peau, et le cheval bariolé, cela me rappelait des scènes joyeuses vues autrefois, lors d’exhibitions équestres désordonnées et colorées comme seule l’Afrique subsaharienne savait en proposer.

Vieux CD et vieilles bagnoles

Mais non : il ne s’agissait pas du tout de cela. Ce que l’auteur de l’exposition, un dénommé Mohamed Bourouissa (présenté comme « l’un des artistes majeurs de sa génération », pas moins !) voulait nous montrer là se passait quelque part aux États-Unis, dans une pauvre et triste banlieue de Philadelphie, où se trouvent des « écuries associatives » pour chevaux rescapés de l’abattoir qui donnèrent à « l’artiste majeur » l’envie d’en faire la matière première d’une œuvre d’art. Il lui suffit pour cela d’inviter des plasticiens – et une rappeuse ! – à participer aux préparatifs d’une cavalcade, en aidant les solides gaillards du coin à confectionner pour leurs montures de drôles de chabraques, des caparaçons tapissés de vieux CD, des harnais de tête faits de bric et de broc : de l’art contemporain, quoi !

Où est la créativité de Mohamed Bourouissa dans tout cela ? D’abord, il a eu l’idée (pas très nouvelle, comme on le verra plus loin). Ensuite, il a filmé ce qu’il appelle la performance. Enfin, le truc lui a inspiré, allez savoir pourquoi, de gigantesques « sculptures » consistant en assemblages de tôles découpées sur des carcasses de vieilles bagnoles, sur lesquelles il a imprimé des photos floutées : bref, tout pour plaire !

L’exposition du Musée d’Art Moderne, qui s’étale sur plusieurs centaines de mètres carrés, comprend, outre cet ensemble sculptural, la projection de bribes du film d’amateur tourné avant et pendant la parade équestre, l’ostentation des pièces de harnachement bricolées pour l’occasion et, explicite le catalogue, « un corpus de dessins témoignant de la genèse du projet ». C’est l’aspect le plus rigolo de l’expo : certains de ces dessins ont été badigeonnés au crottin de cheval.

Rire de bon coeur

Derrière ce bric-à-brac prétentieux (« une exposition institutionnelle », dit le texte de présentation), qui se veut innovant et, sinon révolutionnaire, du moins résolument « contemporain », se dissimule une situation en vérité très banale. Il y a bien longtemps qu’on a songé, dans les banlieues dites difficiles de Paris ou de Marseille, dans des pénitenciers américains ou des prisons françaises d’utiliser le cheval comme médiateur, comme thérapeute, comme facilitateur de convivialité !

Ces expériences ont donné lieu à de nombreux documentaires, tournés, eux, par de bons professionnels, et diffusés à l’époque sur la chaîne Equidia. La « nouveauté » du propos de Urban Riders est de prétendre à l’art, ce qui ne peut que faire pleurer de consternation ou rire de commisération.

Toutefois, si vous avez envie de vous bidonner – cette fois de bon cœur – mieux vaut alors vous rendre vite au spectacle de celui qui a été sacré « Humoriste de l’année », Alex Lutz (à l’Olympia, jusqu’au 25 février, en tournée ensuite en province) : lui aussi, il invite des chevaux à son show pour montrer, dans une scène mémorable, le contraste désopilant entre un homme, ce bipède maladroit, et un cheval, ce quadrupède gracieux.

À la fin du spectacle, Alex Lutz a le bon goût de demander au public d’applaudir son cheval.

De Jean-Louis Gouraud

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