Un aggiornamento en demi-teinte pour le guide Michelin 2018

Face à la concurrence des nombreux sites d’évaluation des restaurants, le Guide Michelin reste une référence indémodable. Jean-Claude Ribaut se livre à l’inventaire des principales nouveautés de l’édition 2018.  

« Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change » C’est la doctrine de Tancredi (Le Guépard) ; cela semble aussi celle du Guide Michelin 2018, dont l’un des nouveaux trois étoiles est un revenant, Marc Veyrat, chapeau vissé sur le crâne, désormais installé à Manigod à l’enseigne de la Maison des Bois. Il avait obtenu déjà, il y a plus de 20 ans, un troisième macaron Michelin lorsqu’il était à Veyrier-du-Lac, perdu après s’être installé à Megève, victime d’un accident lors d’une course à ski. Cette réapparition au sommet semble un retour d’affection, dont le Michelin n’est pas avare. Il l’a démontré déjà avec Pierre Gagnaire, autrefois.

Marc Veyrat, dans son restaurant étoilé La Maison des Bois.

L’autre trois étoiles de la promotion nouvelle est un chef de grande valeur, plus classique, Christophe Bacquié, installé avec son épouse au Castellet (Var) sur le circuit automobile Paul Ricard. Retour d’affection encore avec la seconde étoile restituée à Bruno Cirino (Hostellerie Jérôme à La Turbie) qu’on lui avait bien injustement supprimée en 2014.

Alors, quoi de neuf dans cette nouvelle livraison ? Incontestablement, c’est la seconde étoile accordée au chef japonais Takao Takano, à Lyon, qui signe la volonté du Michelin de sortir des sentiers battus. Ce jeune japonais, formé auprès de Nicolas Le Bec, un franc tireur qui tournait de dos à la tradition locale, ne manque certes pas de talent, ni d’à-propos lorsqu’il déclare que son plat préféré est la tête de veau. Mais à s’en tenir aux symboles, Lyon n’attendait certainement pas cette consécration.

La seconde étoile de Jean Sulpice à Talloires (ancienne Auberge du Père Bise), en revanche est bien accueillie. A Paris, une première étoile vient récompenser La Table de Bruno Verjus, le Chateaubriand d’Inaki Aziparte, Quinsou et plusieurs chefs japonais dont le très talentueux Ryunosuke Naito (Pertinence). On sait que le Guide Michelin a pris 40 % des parts du Fooding, un guide branché auto-proclamé dans l’air du temps, ceci explique sans doute cela. C’est à dire une certaine ouverture stratégique vers une clientèle plus jeune, éclectique et attentive aux cuisines étrangères.

C’est ainsi que le Chypriote Andréas Mavrommatis, le meilleur restaurant grec de la diaspora hellénique, fait une entrée remarquée dans l’édition 2018, comme le Café Armani (gastronomie italienne), à Saint Germain-des-Prés, que dirige l’excellent amphitryon Massimo Mori.

Bibendum – centenaire – survivra-t-il à ses contradictions ?
Le guide Michelin est inséparable de Bibendum, personnage créé par Marius Rossillon (1867 – 1946), dessinateur humoristique et affichiste sous le pseudonyme O’ Galop. Lorsqu’il présenta, début 1898, quelques-uns de ses dessins à André Michelin, ce dernier tomba en arrêt devant une affiche destinée à une brasserie. On y voyait un personnage boursouflé brandissant une chope de bière avec une légende empruntée au poète latin Horace : « Nunc est bibendum ! » (C’est maintenant qu’il faut boire !).

Quelques jours plus tard, à la demande des frères Michelin, O’Galop montra un gros personnage constitué d’un assemblage de pneus, tandis que la chope était devenue une coupe remplie de clous et de débris de verre, avec pour légende : « A votre santé, le pneu Michelin boit l’obstacle ! » En juin de la même année, le Bonhomme Michelin ornait le stand de l’entreprise clermontoise au premier Salon de l’auto.

Le Guide Michelin est édité en 1900 à l’occasion de l’Exposition Universelle. Il est distribué gratis aux 2 400 pionniers possesseurs d’une automobile, acheteurs potentiels de pneumatiques. Il les renseigne sur la liste des garages, les curiosités touristiques et donne quelques plans de ville. Jusqu’en 1908, le guide accueille des annonces payantes d’hôtels et de mécaniciens. Au lendemain de la guerre de 1914 – 1918, il est rapporté aux frères Michelin qu’un garagiste utilisait une pile de guides pour caler un essieu. Dès lors, il n’est plus distribué gratuitement, mais vendu. Il comporte une liste de restaurants. L’objectif est clair : inciter les automobilistes à rouler, c’est-à-dire à consommer… des pneus.

A la fin du XXe siècle, l’entreprise Michelin est devenue l’un des leaders mondiaux du pneumatique. Au fur et à mesure de la conquête des marchés, le Guide Rouge distribue ses étoiles, en Europe, puis aux Etats-Unis, au Japon, à Hongkong. Sur quels critères ? Mystère. Le guide est un outil au service du marketing planétaire de la marque constate l’historien Herbert Lottman en 1999. Ce changement d’échelle de la politique éditoriale du Guide intervient au moment où l’incertitude est grande sur l’avenir d’une restauration de prestige traversée, en France, de courants et d’influences contradictoires : nouvelle cuisine, influence méditerranéenne, cuisine moléculaire, cuisine nordique….

Chute des ventes « papier »
Depuis 2012, la sélection annuelle est en ligne sur le site internet « restaurant.michelin.fr », mais ce site est aussi ouvert à tous les restaurateurs, moyennant un abonnement de 828 € par an. A terme, 20 000 adhérents devraient générer une recette destinée à compenser la chute des ventes du guide papier. Les internautes sont aussi invités à donner leur avis sur les établissements, malgré les réticences du milieu, Alain Ducasse et Joël Robuchon en tête. Ces derniers décident de créer aussitôt, sous l’égide du Collège culinaire de France, une sélection de « Restaurants de Qualité.» L’essoufflement du Guide Michelin, auquel le numérique offre une seconde chance et une manne financière inespérée, sera-t-il enrayé ?

Le capital de confiance engrangé pendant un demi-siècle survivra-t-il longtemps aux générations du baby boom ou bien la diffusion de l’information gourmande, relayée par les blogueurs, donnera-t-elle bientôt des rides au centenaire Bibendum ? Rien n’est joué. L’édition 2018 du Michelin ne lève aucune de ces ambiguïtés, malgré la confiance que semble lui conserver le milieu professionnel.

Par Jean-Claude Ribaut

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*