Tunisie: n’est pas Bourguiba qui veut.

Le président tunisien n’a pas été catégorique sur cette question de l’égalité successorale puisqu’il a coupé la poire en deux en laissant le choix à l’héritière et au testateur de renoncer, s’ils le veulent, au principe de l’égalité et d’opter pour celui de la chariaa.

Du haut du minbar (chaire) de la mosquée, le jeune Imam, imberbe, portant un djebba( habit traditionnel tunisien) et coiffé d’une chéchia,  prononce sa prêche hebdomadaire dont il a réservé une partie pour fustiger l’initiative sur l’égalité dans l’héritage, annoncée quatre jours plus tôt, par le président tunisien Béji Caid Essebsi, à l’occasion du 62ème anniversaire de la fête de la femme. « Pas question que cette initiative passe », martèle-t-il. « Nous avons juré, nous Imams de Tunisie, de ne plus prêcher si le projet de loi est adopté par le parlement», assure-t-il. « C’est une véritable atteinte aux principes sacrés édictés dans le Coran et la Chariaa », lance-t-il, encore, devant des dizaines de fidèles rassemblés à l’intérieur de l’enceinte de la mosquée. Ce genre de discours trouve des échos dans les slogans scandés par des hommes et des femmes rassemblés devant le siège du parlement, pour crier, en brandissant le Coran, « avec notre âme, avec notre sang, nous défendrons l’islam ».

Depuis l’annonce du chef de l’état de proposer un projet de loi pour modifier certaines dispositions du Code du statut personnel (CSP) afin d’assurer la légalité successorale, le pays connait une véritable levée de boucliers entre partisans et opposants à cette proposition qui divise les Tunisiens. D’un côté, le camp moderniste composé, notamment, des défenseurs des droits de l’homme et des militants féministes, de l’autre, le camp des conservateurs formé, en grande partie, de dignitaires religieux et de personnalités pro-islamistes s’opposent avec virulence. Ils tentent, chacun de mobiliser, soit pour soutenir l’initiative soit pour la faire échouer.

Béji Caid Essebsi, en froid avec son allié le chef du mouvement Ennahdha ( Renaissance), Rached Ghannouchi qui, jusque-là, maintient son soutien au chef du gouvernement contre la volonté du président, n’a pas manqué d’égratigner le parti islamiste et sa référence à la religion, le mettant ainsi dans une mauvaise posture.  Le consensus chancelle, les clivages sur l’identité de reprennent. Etant la première force au parlement, aucun projet de loi ne saurait être adopté sans sa bénédiction. Dans une lettre adressée au président, le mouvement a exprimé ses réserves quant à certains points du rapport de la commission des libertés(Colibe) et dit son opposition à l’égalité dans l’héritage. Jusque là, la loi, inspirée d’un verset coranique, (verset 11 de la Sourate des femmes ): « Dieu vous recommande, en ce qui concerne vos enfants : aux mâles l’équivalent de la part de deux femmes… ». Elle prévoit, qu’en règle générale un homme hérite le double d’une femme. Alors que la proposition présidentielle suggère principalement que le patrimoine familial soit, par défaut, partagé à parts égales entre les héritiers hommes et femmes.

Dans la foulée, certains maires islamistes, nouvellement investis, après les élections municipales du 6 mai dernier qui ont vu le parti Ennahdha damer le pion au parti présidentiel, Nida Tounes ( l’Appel de la Tunisie) en remportant la plupart des grandes villes dont la capitale, ont pris des mesures un peu surprenantes, allant même contre les principes énoncés dans la Constitution. C’est le cas du maire controversé du Kram, une ville de la banlieue de la capitale, qui a déclaré son opposition au mariage d’une Tunisienne avec un non musulman. Pourtant, cette interdiction a été levée après l’annulation en 2017, d’une circulaire datant de 1973. Il s’est déclaré ne pas être concerné par ce texte contraire aux préceptes coraniques, selon lui, faisant une lecture « charaïque » du Code du statut personnel dont un article parle « des cas d’empêchements prévus par la loi ». Malgré la désolidarisation d’Ennahdha, il campe sur sa position, fait fi de tous les appels et nargue les autorités qui menacent de le destituer conformément au Code des collectivités locales. Un autre maire, islamiste également, celui de Sfax, la deuxième ville du pays, a exhumé une vieille circulaire de 1965, devenue, depuis, obsolète, pour refuser l’enregistrement d’un prénom non arabe dans le registre d’état civil. Les parents de l’enfant, à qui ils ont choisi un prénom berbère « Massinissa », celui d’un célèbre roi amazigh, se battent pour faire prévaloir leur choix. Un acte jugé discriminatoire à l’égard de cette minorité qui représente 2% de la population.

Malgré une Constitution consensuelle adoptée en janvier 2014 et qui énonce, sans détours, dans son article 2 que « La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit », les réticences sont encore grandes et le sentiment conservateur est toujours vivace chez les populations, attisé par des dignitaires religieux attachés beaucoup plus aux principes de la chariaa qu’aux principes constitutionnels.

Sur un autre plan, beaucoup reproche au président tunisien de s’être uniquement focalisé sur un sujet clivant, celui de l’égalité dans l’héritage, et de laisser tomber tous les autres aspects contenus dans un rapport de 230 pages, s’il a l’intention de traduire dans la loi les principes énoncés par la Constitution d’un Etat civil comme il en a exprimé le souhait. D’ailleurs, il n’a pas été catégorique sur cette question de l’égalité successorale puisqu’il a coupé la poire en deux en laissant le choix à l’héritière et au testateur, s’ils le veulent, de renoncer au principe de l’égalité et d’opter pour celui de la chariaa.

Fragilisé par le différend qui l’oppose au chef du gouvernement et la fracture de son parti dirigé par son fils, et en plus, avec un bilan mitigé à une année de la fin de son mandat, Béji Caid Essebsi cherche, plutôt, à redorer un blason terni auprès de la plupart de ses électeurs et ses électrices surtout, et entrer dans la postérité, en osant une réforme que son mentor Habib Bourguiba n’avait pas pu faire. On glose même sur sa propension à vouloir se mesurer au père, voire le tuer. Or, depuis, les temps ont changé et les mentalités aussi. BCE n’a ni la stature ni le charisme de Bourguiba. Ce dernier, considéré comme le père de l’indépendance et le libérateur de la femme, s’appuyait, en plus sur un parti fort, le Néo Destour, et sur une élite politique et intellectuelle et une autorité religieuse qui lui étaient toutes acquises. Mais n’est pas Bourguiba qui veut.

Brahim Oueslati.

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