Secrets d’histoire : Rwanda, ce qu’on sait exactement du génocide

190777 10: A French soldier gives candy to Tutsi children June 24, 1994 at the Nyarushishi Tutsi refugee camp on the Zaire border in Gisenyi, Rwanda. The French military is visiting the camp to demonstrate France's neutral and humanitarian intentions during Operation Turquoise, despite French support for the Hutu government. (Photo by Scott Peterson/Liaison)

Vingt-cinq ans après les faits, le génocide des Tutsi reste un sujet polémique. La recherche historiographique permet pourtant de dégager enfin quelques certitudes, dont La Revue fait ici l’inventaire.

Plus de vingt ans après la catastrophe, le génocide des Tutsi du Rwanda reste un événement sujet à fantasmes, rumeurs et fausses informations.

Le statut de l’événement est pourtant solidement établi. Le génocide a été reconnu officiellement par l’ONU en octobre 1994. Il a donné lieu à un investissement conséquent de la part de journalistes et de chercheurs en sciences humaines et sociales. Dès lors, comment expliquer une telle profusion de discours différenciés et parfois contradictoires ? Que sait-on aujourd’hui avec certitude des événements de 1994 ? Quelles sont les dimensions de l’événement qui restent à éclairer ?

Un contexte de guerre civile

Durant plus de trois mois, de la nuit du 6 au 7 avril jusqu’à la mi-juillet 1994, le génocide est perpétré par des autorités rwandaises qui parviennent à mobiliser une diversité de protagonistes au service de leur projet d’extermination. Tous les moyens de l’État rwandais (des médias à la voirie en passant par l’administration) sont réquisitionnés pour tendre vers la plus grande efficacité possible. Cet effort exceptionnel permet de comprendre la rapidité avec laquelle le génocide a été exécuté.

Si le bilan humain reste difficile à établir de manière précise, l’ONU estime le nombre de victimes à 800 000 personnes (rapport du 16 décembre 1999) alors que le gouvernement rwandais post-génocide a dénombré 1 074 017 morts en 2004. Les Tutsi sont les principales victimes du génocide (plus des trois-quarts des Tutsi rwandais sont tués). Mais pour réaliser leur plan, les extrémistes tuent aussi – dès les premiers jours – les personnalités politiques et intellectuelles hutu qui, comme le Premier ministre Agathe Uwilingiyimana, pourraient s’opposer à leur funeste projet. Avant d’être exécutés à la grenade, au fusil, au bâton ou à la machette, les Tutsi subissent des viols, tortures, découpes du nez, des talons d’Achille ou des membres. Loin d’être le résultat d’une barbarie africaine convoquée à l’époque par certains observateurs peu scrupuleux, ces sévices visent à déshumaniser les victimes et à créer entre elles et leurs bourreaux une différence irréductible.

Ce souci d’efficacité dans le processus d’élimination conduit le gouvernement intérimaire – qui gère le pays à la suite de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana – à orchestrer le génocide en s’appuyant sur son administration (préfets, bourgmestres, conseillers de secteurs…). Ces responsables administratifs sont, par exemple, chargés de regrouper la population tutsi dans des lieux précis comme les stades, les bâtiments publics ou les églises. Les lieux de culte constituent ainsi des pièges pour les civils tutsi alors même qu’ils avaient exercé une fonction protectrice lors des massacres de 1959, 1963 ou 1973. Entassés dans les églises, les victimes sont d’abord attaquées à la grenade et à la mitraillette avant que l’assaut final ne soit donné par les miliciens. Des milliers de réfugiés sont ainsi exécutés à Nyamata entre le 14 et le 16 avril 1994, à Kibeho entre le 12 et le 16 avril, ou encore à Kibuye le 17 avril. Préfets, bourgmestres et conseillers de secteurs sont aidés par des religieux qui participent au génocide ou l’accompagnent de leur présence.

Ce souci d’efficacité conduit aussi les génocidaires à s’appuyer sur la population civile. Endoctrinés par une propagande extrémiste active depuis des années, soumis à la pression des autorités, de l’armée et des milices, manipulés par certains médias extrémistes qui appellent chaque citoyen hutu à se mobiliser contre l’ennemi tutsi, nombreux sont les civils hutu à participer au génocide. Les liens de proximité entre voisins et les liens familiaux facilitent la traque et l’identification des Tutsi, à tel point que l’historienne Hélène Dumas évoque le rôle crucial du « retournement meurtrier du voisinage » (Le génocide au village, Seuil, 2014).

La résistance qu’a pu susciter le projet génocidaire reste une dimension insuffisamment éclairée par les travaux de recherche. Outre la progression du Front patriotique rwandais (FPR) qui met fin au génocide dans les régions qu’il libère, l’épisode le mieux connu est celui de la résistance des Tutsi sur les collines de Bisesero, près de Kibuye. Les habitants de ces collines sont en effet parvenus à s’opposer durant plusieurs semaines aux assauts des miliciens et de l’armée en ayant recours à des bâtons de berger et en s’emparant des armes de leurs agresseurs. Si près de soixante mille Tutsi perdent la vie dans ces collines, certains d’entre eux parviennent à résister jusqu’à fin juin 1994, date à laquelle ils sont découverts par hasard par les soldats de l’opération Turquoise.

Comment a-t-il été rendu possible ?

Cette question a d’emblée été posée par des journalistes, des observateurs et des historiens. Elle fait même l’objet, dès septembre 1994, d’un long sujet de l’émission « La Marche du siècle » que Jean-Marie Cavada consacre au génocide sous le titre « Autopsie d’un génocide ». Complexe, la réponse oblige à se plonger dans l’histoire longue du Rwanda au xxe siècle et à déconstruire le cliché d’une haine ethnique ancestrale entre Hutu et Tutsi.

La période coloniale a d’abord été marquée par un processus de racialisation de la société rwandaise. Lorsque les Européens découvrent le pays au xixe siècle, la société rwandaise est structurée autour du mwami – « roi » en kinyarwanda – et de trois principaux groupes socio-professionnels, les Hutu (qui vivent surtout des activités agricoles), les Tutsi (en général éleveurs de bétail) et les Twa (dont les activités majeures sont l’artisanat, la cueillette et la chasse). Trois groupes dont les contours peuvent s’avérer flous dans certaines régions.

Selon Marcel Kabanda et Jean-Pierre Chrétien (Rwanda. Racisme et génocide : l’idéologie hamitique, Belin, 2013), les Européens (explorateurs, missionnaires, premiers colonisateurs) qui découvrent le Rwanda à la fin du xixe siècle ne perçoivent pas cette complexité de la société rwandaise. Impressionnés par la cour du mwami et imprégnés de l’idéologie racialiste en vogue à l’époque en Europe, ils appliquent au Rwanda un schéma qui fait des Tutsi une race supérieure venue d’Égypte ou d’Éthiopie quand les paysans hutu sont considérés comme de « vrais Nègres », des « autochtones », des « Bantous ». 

Cette vision fantasmée et figée de la société rwandaise conduit les Belges – qui administrent officiellement le pays à partir de 1922 – à s’appuyer sur les chefs locaux tutsi et à écarter des responsabilités les grands lignages de l’aristocratie hutu. Ainsi, alors même que Hutu, Tutsi et Twa ont en commun une langue (le kinyarwanda), des croyances et une culture, l’exercice de la domination coloniale et les discours forgés par les Européens tendent à remodeler et à durcir les rapports sociaux autour d’un antagonisme entre Hutu et Tutsi.

Cette racialisation des rapports entre Hutu et Tutsi se renforce à la suite de la mise en place de la 1ère République rwandaise (1961) et de l’indépendance du pays (1962). Ces deux événements font suite à la « révolution sociale » hutu (1959), qui visait à remettre en cause la domination des élites Tutsi. Dirigé par Grégoire Kayibanda, le nouveau régime est marqué par la domination d’un parti unique (le Parmehutu) qui prône le principe de la majorité ethnique des Hutu et recourt aux quotas ethniques. Ces choix politiques conduisent à une véritable politique d’exclusion des Tutsi qui sont régulièrement victimes de persécutions entre 1961 et 1967.

Mise en place en 1973, à la suite du renversement de Kayibanda par Juvénal Habyarimana, la 2République a pu sembler à l’origine plus modérée. Pourtant, des pratiques discriminatoires sont maintenues (quota de 9 % de Tutsi dans les écoles et les emplois). Et le parti présidentiel, le MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement), devient à son tour parti unique en 1978.

Les pogroms anti-tutsi commis sous ces deux républiques contraignent des milliers de familles tutsi à trouver refuge à l’étranger. Et à la fin des années 1980, six cent mille à sept cent mille Rwandais se trouvent exilés en dehors des frontières du pays. Surtout localisés en Ouganda, au Burundi et au Zaïre, ces exilés aspirent à un retour au Rwanda mais se trouvent confrontés à l’inflexibilité du régime rwandais. À partir de 1987, leurs revendications sont portées par un nouveau mouvement politique, le Front patriotique rwandais.

Trois bouleversements majeurs contribuent au début des années 1990 à accroître les tensions entre Hutu et Tutsi. Le premier est l’engagement du FPR dans la lutte armée, avec une première offensive lancée dès octobre 1990 et qui n’est repoussée par les FAR (Forces armées rwandaises) que grâce au soutien des armées française, belge et zaïroise. Le contexte de démocratisation des années 1990 en Afrique conduit aussi le Président Habyarimana à ouvrir la vie politique au multipartisme (1991) et à engager dès 1992 des négociations avec le FPR en Tanzanie, à Arusha. Pourtant, simultanément, la vie politique rwandaise se radicalise sous l’influence de plusieurs partis extrémistes (notamment la Coalition pour la défense de la République créée en 1992) et de l’activisme de certains médias comme l’hebdomadaire Kangura (1990) ou la Radio-Télévision des Mille Collines (1993). Discours politiques et médias extrémistes préparent les esprits à la violence contre des Tutsi de plus en plus souvent perçus comme des « ennemis intérieurs ».

Dans ce contexte de guerre, les extrémistes des deux camps recourent à des stratégies visant à augmenter les tensions (attentats, assassinats ciblés, déclarations belliqueuses…). Cette montée de la violence se traduit aussi par la reprise des tueries à grande échelle contre les Tutsi (massacres des Bagogwe en 1991 et du Bugesera en 1992). Pressé par la communauté internationale de permettre le retour des exilés et d’accepter un partage du pouvoir avec le FPR, le Président Habyarimana retarde, sous la pression des extrémistes de son entourage, l’application des accords de paix d’Arusha. Dans le même temps, le régime fait le choix d’entraîner et d’armer des civils, d’importer des armes en grande quantité, de grossir les effectifs de son armée et de constituer des listes de Tutsi à éliminer.

De retour d’un sommet diplomatique à Dar es Salam où il s’était engagé à mettre en place les institutions de transition prévues par les accords d’Arusha, Habyarimana est assassiné dans la soirée du 6 avril. Son avion, un Falcon 50 offert par la France, est abattu par deux tirs de missiles. S’il est encore aujourd’hui délicat de déterminer avec certitude l’identité des responsables de cet attentat, la thèse d’une responsabilité des milieux proches des extrémistes s’est trouvée confortée ces dernières années par plusieurs rapports (Trévidic, Mutsinzi) établissant que les tirs sont partis de la colline de Kanombe, alors étroitement contrôlée par les FAR et par la Garde présidentielle. Quelle que soit l’identité des responsables de l’attentat, tous les témoignages convergent pour établir que des barrages de militaires et de miliciens furent dressés sur les principaux axes de la capitale rwandaise seulement une poignée de minutes après l’attentat. L’édification de ces barrages marque alors le début des massacres des opposants politiques et des familles tutsi.

La responsabilité française

Depuis 1994, un groupe de personnalités qui assurèrent de hautes responsabilités pendant le génocide défendent la thèse d’une France qui aurait été exemplaire dans sa gestion des événements et réfutent toute accusation d’implication néfaste de la part du pays des Droits de l’homme. Les autorités de l’époque se seraient contentées de soutenir le processus de paix d’Arusha puis d’exiger un cessez-le-feu entre les belligérants. Ils soulignent qu’avec l’opération Turquoise, la France est la seule puissance à avoir eu le courage d’apporter secours aux Rwandais menacés de mort.

La situation est cependant plus complexe que cette vision angélique ne pourrait le laisser penser. Très profonde avant et pendant le génocide, l’implication française au Rwanda n’est pas dénuée d’ambiguïtés, de contradictions voire de motivations qui pourraient exposer certains de ces anciens cadres à des accusations de responsabilités directes dans le bon déroulement du génocide. Quelques faits permettront d’éclairer le lecteur sur les choix des dirigeants français de l’époque, sachant que durant cette période (marquée par les débuts de la 2cohabitation à partir de 1993), les principales décisions sont initiées par François Mitterrand et par son état-major.

Un accord d’assistance militaire entre la France et le Rwanda est signé dès 1975. Des coopérants français sont présents au Rwanda dans les années 1970 et 1980. L’engagement de la France s’intensifie avec les débuts de la guerre civile en octobre 1990. Ce soutien se traduit par exemple par l’envoi de deux régiments (opération Noroit) afin de repousser l’offensive menée par le FPR en octobre 1990. Un Détachement militaire d’assistance et d’instruction est aussi envoyé au Rwanda. Des centaines de soldats restent par la suite présents sur le terrain pour repousser les nouvelles offensives du FPR, pour contrôler le territoire, empêcher les infiltrations d’éléments du FPR, ainsi que pour assurer la formation et l’encadrement de militaires et de civils. La France se trouve donc impliquée dans une guerre civile sur fond de montée de la violence contre les civils et d’un risque d’extermination des Tutsi du Rwanda, dont l’Élysée est informé dès 1993.

Alors qu’elle encourage officiellement le processus de paix d’Arusha, la France fournit des armes au régime et soutient celui-ci diplomatiquement, malgré les arrestations et les massacres massifs de tutsi. Ces choix résultent de la stratégie de protection des chefs d’États africains favorables aux intérêts français et de la volonté de lutter contre l’influence anglo-saxonne en Afrique dont le FPR est supposé être l’incarnation. En décembre 1993, après plus de trois ans de présence sur le terrain, les six cents soldats français de l’opération Noroît quittent le Rwanda pour être remplacés par la MINUAR (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda). Le soir de l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, il reste encore plusieurs dizaines de soldats français au Rwanda, visiblement occupés à des activités de renseignement.

Organisée du 8 au 14 avril 1994, l’opération Amaryllis permet d’évacuer plusieurs centaines de ressortissants français et étrangers, ainsi que certains dignitaires du régime comme la famille de Habyarimana. Les soldats français se retrouvent à Kigali, ville alors livrée à la violence des milices et des génocidaires. Ils n’interviennent cependant ni pour empêcher les massacres, ni pour protéger et évacuer les Tutsi menacés. Dans leurs déclarations, les autorités françaises veillent à se montrer rassurantes et à dépolitiser l’événement en mobilisant les grilles de lecture de la guerre ethnique et des massacres tribaux.

Du 15 avril au 15 juin, la stratégie française revêt plusieurs dimensions. À l’ONU, la France affirme rester à la disposition des Nations unies où elle soutient la résolution 912 de réduction des effectifs de la Minuar (de 2 539 à 270 hommes). Elle renvoie dos à dos le FPR et le gouvernement intérimaire. Elle refuse de recourir au terme génocide qui s’impose pourtant dans la presse durant la deuxième quinzaine du mois de mai. Le 27 avril 1994, Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères du GIR(Gouvernement intérimaire rwandais), et Jean-Bosco Barayagwiza, responsable de la CDR (Coalition pour la défense de la République), sont reçus à l’Élysée et à Matignon alors même que les massacres se déroulent sous leur responsabilité, comme le rappelle le rapport de la mission d’information parlementaire.

Durant cette même période, l’Élysée et Matignon commencent à s’inquiéter des accusations portées contre la France, notamment par Médecins sans frontières. Jean-Hervé Bradol, responsable des programmes de MSF France au Rwanda, de retour de Kigali, affirme lors du 20h de TF1 du 16 mai 1994 : « Le rôle de la France dans ce pays et les responsabilités de la France sont particulièrement écrasants. Les gens qui massacrent aujourd’hui, qui mettent en œuvre cette politique planifiée et systématique d’extermination sont financés, entraînés et armés par la France […]. On n’a entendu aucun responsable français condamner clairement les auteurs de ces massacres. Pourtant, ces gens sont bien connus de l’État français puisqu’ils sont entraînés et équipés par eux. » Aussi la stratégie de l’exécutif évolue-t-elle fin mai/début juin avec une mobilisation de la communication officielle pour contrer ces critiques : plusieurs ministres recourent au terme génocide, l’aide humanitaire est accrue tandis que l’Élysée et le gouvernement réfléchissent à de nouvelles modalités d’action.

Peu soutenue par ses partenaires, la France obtient le 22 juin 1994, par la résolution 929 du Conseil de sécurité, l’autorisation de lancer une intervention humanitaire au Rwanda. Officiellement, il s’agit de protéger les civils. Les motivations éthiques ou morales ont certainement joué un rôle dans la prise de décision. Mais les documents et témoignages en notre possession attestent de motivations beaucoup plus complexes et souvent moins nobles. La première est le souci de François Mitterrand et de son état-major d’empêcher une victoire totale du FPR, alors même que les FAR cèdent du terrain. C’est ce qui explique l’ampleur de la mobilisation militaire française (2 500 hommes lourdement armés, commandés par le général Lafourcade), l’existence d’un projet d’engagement militaire direct et la constitution d’une Zone humanitaire qui a favorisé le repli des forces génocidaires vers le Zaïre. Certains membres du gouvernement voient dans cette opération un moyen de faire cesser les accusations de passivité, voire de complicité, avec le régime responsable du génocide. Consigne est donnée au commandement de l’opération d’intervenir dès les premières heures auprès des rescapés tutsi du génocide du camp de Nyarushishi.

À la suite de la prise de Kigali le 4 juillet 1994, les soldats français sont contraints de gérer un flux de près de 2 millions de Rwandais qui fuient l’avancée du FPR et cherchent à se réfugier au Zaïre. Ces soldats portent secours à plusieurs milliers de ces réfugiés touchés par une épidémie de choléra (48 000 cas dont 23 800 mortels selon l’Organisation mondiale de la santé). Sur les écrans de télévision (les journalistes sont désormais nombreux sur place), leurs souffrances tendent à reléguer à l’arrière-plan les centaines de milliers de victimes du génocide tandis que la fascination des journalistes pour l’engagement des soldats français fait taire provisoirement les critiques contre la France. Toujours sous la coupe des autorités génocidaires, ces exilés sont pour une majorité d’entre eux accueillis à l’est du Zaïre où les FAR et les milices recomposent leur force dans la perspective d’une reconquête prochaine du pays.

Les conséquences du génocide

Les autorités françaises de l’époque ne sont donc ni les instigatrices, ni les perpétratrices du génocide des Tutsi. Les choix stratégiques opérés à l’époque ont pourtant pesé lourd dans le déroulement des événements puisqu’ils ont permis au régime Habyarimana puis au gouvernement intérimaire de conserver des marges de manœuvres conséquentes pour mettre à exécution leur projet meurtrier. Ces choix expliquent aussi en partie la vivacité de la guerre de mémoires qui traverse depuis 1994 l’espace public français, ainsi que la relation tendue entretenue par la France avec le nouveau régime rwandais confronté à des formes d’instabilité à ses frontières et au relèvement du pays.

Si on comprend le besoin pour d’anciens responsables de masquer les stratégies mortifères, le mythe d’une France ayant juste travaillé à la construction de la paix ne tient plus du fait d’un effort conséquent de clarification opéré par des journalistes, des militants et des chercheurs. Dès lors, comment expliquer la persistance de ces discours aux interprétations tendancieuses au sein de l’espace public français ?

Ils ont d’abord pour point commun de se centrer sur la figure de Paul Kagame, de se prétendre convaincus de la responsabilité du FPR dans l’attentat contre Juvénal Habyarimana, et de considérer cet attentat comme ayant été commis en passant par pertes et profits le sort des familles tutsi de l’intérieur. La diabolisation de Paul Kagame, présenté par d’autres comme un libérateur et un homme éclairé, permet de replacer la France dans le camp du bien face à ceux qui sont parfois encore qualifiés de « Khmers noirs du FPR ». Paul Kagame est un militaire. Il a pratiqué durant des années guerres et guérillas, a muselé certains de ses opposants. Il a eu une influence non négligeable dans le déroulement des deux guerres du Congo. L’insistance sur les crimes commis par le FPR ou par l’armée du nouvel État rwandais après 1994 vise à renverser les responsabilités. Un renversement qui croise les intérêts de certains négationnistes trop heureux de pouvoir atténuer leurs propres responsabilités dans les crimes commis durant le génocide.

Entre négationnistes et militants de la mémoire, entre bourreaux et rescapés, entre la France et le Rwanda, le génocide reste l’objet de passions brûlantes et d’une violence qui traverse les expériences de vie de nombreux Rwandais. Face à ces guerres de mémoire, le travail de documentation, de croisement des sources et de restitution des faits reste essentiel. Tout aussi importante est l’attention qui pourra être apportée à l’avenir à la parole des rescapés, ainsi qu’à la manière dont ce pays de près de 12 millions d’habitants tente aujourd’hui de prendre en charge les traces laissées par la mémoire de la violence, ainsi que la délicate reconstruction des liens susceptibles d’unir les Rwandais.

Par François Robinet

#rwanda

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