Ramaphosa, sur les pas de Mandela

Article paru dans le n°63 (mai-juin 2016).

Militant syndical puis homme d’affaires avisé, Cyril Ramaphosa est considéré par beaucoup comme l’un des probables successeurs de Jacob Zuma à la présidence sud-africaine. L’ambitieux vice-président y croit mais beaucoup, y compris au sein de l’ANC, sont bien décidés à lui barrer la route. Par Georges Lory

Le 11 février 1990, Nelson Mandela prononce son premier discours d’homme libre devant les caméras du monde entier. Le soir tombe sur le balcon de l’ancien hôtel de ville du Cap. Derrière le grand homme, on distingue son épouse Winnie et Walter Sisulu, son camarade de toujours. Mais on voit surtout un jeune barbu au regard concentré qui lui tient le micro. Il s’agit de Matamela Cyril Ramaphosa, un membre du comité de réception. Le matin même, il soignait une pneumonie à l’hôpital. Quand il a appris l’heure de la libération du leader, il s’est débarrassé de son cathéter et a foncé sur les routes.
Il parviendra en quelques semaines à gagner sa confiance, au point que Mandela envisagera d’en faire son dauphin. Recalé par l’appareil du parti, Ramaphosa changera de métier, avec un indéniable succès. Il reviendra dans le jeu politique quinze ans plus tard. Aujourd’hui, il tient la corde pour succéder à Jacob Zuma en 2019 et devenir l’homme le plus puissant d’Afrique. « Même s’il fait beau- coup d’efforts pour ne pas le laisser deviner, l’envie est là », confie l’ancien président de la Commission de l’Union africaine Alpha Oumar Konaré, qui l’a rencontré à plusieurs reprises, « succéder à Jacob Zuma est très certainement son objectif majeur ». Mais il lui reste à surmonter des obstacles de taille, dont le plus lourd tient à son attitude dans les heures précédant le massacre des mineurs de Marikana en 2012. Cette tache indélébile sur la démocratie sud-africaine constitue pour son image personnelle un boulet dont il n’est pas débarrassé, en dépit des conclusions de la commission d’enquête.
Le père de Cyril Ramaphosa (prononcer «Ramapôssa», car il s’agit d’un h emphatique) vient du Venda, un petit bantoustan du Nord du pays. Policier, il a été affecté dans plusieurs commissariats. Cyril, né le 17 novembre 1952 à Johannesburg, entre dans une école primaire dans le township de Soweto, récemment créé. En revanche, il effectue ses études secondaires à Sibasa, la première capitale du Venda. Rappelons que le régime d’apartheid octroya en 1979 l’indépendance à ce minuscule ter- ritoire qu’aucun pays du monde ne reconnut.

Un syndicaliste pressé
Cyril s’inscrit à l’université la plus proche, à Polokwane. Il a choisi de préparer un baccalaureus procurationis, diplôme qui mène à la profession d’avoué. Saisi par le virus de la politique, emprisonné par deux fois, il ne le décrochera qu’en 1981.
Militant et bon orateur, Ramaphosa devient responsable local de la South African Students Organisation (Saso) en 1974 et se fait arrêter dans la foulée. La loi sur le terrorisme permet de garder à vue des milliers d’activistes. Il passe ainsi onze mois sous les verrous. À la suite des émeutes lycéennes de Soweto en 1976, il est à nouveau écroué pendant six mois.
Il ne cache pas ses convictions socialistes, dans le sillage de Steve Bi ko, dont le Mouvement de la conscience noire vise à redonner aux Africains la fierté d’être noirs. Il divergeait de l’ANC, favorable à une action multiraciale contre l’apartheid. En ce sens l’évolution de Ramaphosa est représentative de celle de milliers de jeunes, d’abord séduits par le discours africaniste mais rejoignant par la suite l’ANC pour des raisons d’efficacité.
Sa carrière commence dès 1982. Six mille mineurs noirs décident de créer une nouvelle formation syn- dicale, le Num (National Union of Mineworkers), et le désignent comme secrétaire général. En 1985, le NUM compte plus de 300 000 adhérents et joue un rôle crucial dans la création d’une grande confédération syndicale, la Cosatu. On le voit sur plusieurs fronts : réunion d’un immense collectif d’associations contre l’apartheid, en Zambie, pour rencontrer l’ANC en exil, auprès des familles endeuillées à la suite des grèves des mines de 1987. Le poète Breyten Breytenbach, qui l’a connu à l’époque, se souvient d’un militant en veste de cuir, à l’œil pétillant et aux réparties vives.
L’ homme qui tend le micro à Mandela au Cap en 1990 n’est donc pas un inconnu. Il représente la jeunesse qui a choisi de porter la lutte à l’intérieur du pays, sur le terrain social et juridique. Quand l’ANC tient son premier congrès libre à Durban, en juillet 1991, Ramaphosa s’offre le luxe de remporter l’élection au poste de secrétaire général du parti au détriment du titulaire, Alfred Nzo, rentré au pays après trois décennies d’exil.

Négociateur tenace
Fort de cette fonction, il devient la cheville ouvrière des négociations qui s’ouvrent avec le gouvernement nationaliste afrikaner et débouchent sur les premières élections libres d’avril 1994. Derrière les débats télévisés menés par Nelson Mandela et Frederik de Klerk, deux hommes sont à la manœuvre : Cyril Ramaphosa et Roelf Meyer, le ministre du Développement constitutionnel.
Plusieurs traits les rapprochent. Ils sont de la même génération, juristes de formation, anciens leaders étudiants, ils ont la politique chevillée au corps (Meyer fut député à 32 ans, ministre-adjoint à 39). Ils partagent le goût de la nature. Ramaphosa est décrit par son interlocuteur comme intègre, chaleureux et courageux. On peut ajouter qu’il est doté d’un solide sens de l’humour.
On sait à présent que les deux hommes ont maintenu le dialogue, sur le mode discret, quand les deux partis ne s’entendaient plus. Ils ont taquiné la truite ensemble un dimanche. Ramaphosa a donné du whiskey à Meyer qui s’était planté un hameçon dans le doigt. Le mythe « Cyril et Roelf » était né. Le journaliste Allister Sparks a pris cette partie de pêche pour symboliser les déblocages dans les négociations : « Chaque fois que Roelf est piqué par un hameçon, il n’y a que Cyril pour le lui enlever. »
Ses qualités de négociateur vaudront plus tard à Ramaphosa d’être sollicité dans la résolution de conflits à l’étranger : désarme- ment de l’IRA irlandaise, bons offices avec Kofi Annan au Kenya en 2007, missions de conciliation au Sud-Soudan, au Sri Lanka et surtout au Lesotho, la dernière datant du 1er juillet 2015, afin de calmer les relations conflictuelles au sein de l’armée.
La Constitution intérimaire de 1994 prévoit que le président de la République (de toute évidence Mandela) sera flanqué de deux vice- présidents, issus des partis arrivés en tête (donc Frederik de Klerk et un dirigeant de l’ANC). Après avoir brillamment conclu les négociations, Cyril s’estime en droit d’occuper ce poste. C’est aussi l’opinion de Mandela.
Mais l’appareil de l’ANC pèse de tout son poids contre le choix de son président. Depuis le congrès de Durban en juillet 1991, deux quinquagénaires ont émergé au sein du parti. Chris Hani, le leader du Parti communiste, et Thabo Mbeki sont arrivés largement en tête lors de l’élection du Comité exécutif.
Hani assassiné par un chômeur polonais (en 2016, ce dernier croupit toujours en prison), Mbeki a le champ libre pour étendre son assise. Face au jeune Ramaphosa, il ne manque pas d’atouts: fils d’un compagnon de Mandela au pénitencier de Robben Island, il s’est exilé à 20 ans. Diplômé en économie, il a gagné ses galons dans la résistance par son sens de l’organisation au point de devenir le bras droit d’Oliver Tambo. Il bénéficie de l’appui de trois piliers au sein de l’ANC: la Ligue des femmes, celle des jeunes et celle des vétérans.
Mandela s’incline sous la pression des cadres de son parti. Mbeki devient vice-pré- sident en mai 1994, avec la perspective de lui succéder cinq ans plus tard et d’effectuer deux mandats à la tête de l’État. L’horizon de Ramaphosa est donc bouché pour les quinze ans à venir. Il accepte cependant de mener à bien son travail de négociateur. Président de l’Assemblée nationale en 1994, il s’attelle aux travaux de rédaction de la Constitution définitive. Adoptée en 1996, celle-ci est un modèle de modernité.
Estimant l’objectif atteint, Ramaphosa quitte le Parlement. S’il demeure un membre actif de l’ANC, il refuse cependant le ministère des Affaires étrangères que lui offre Mbeki en 1999.

Homme d’affaires avisé
Les Noirs sud-africains ont pris le pouvoir politique. Ils ont investi le monde religieux et le monde culturel. Il reste un domaine à conquérir, celui de l’économie. Cyril Ramaphosa tient à montrer que ce bastion blanc n’est plus imprenable.
Il est encouragé par le docteur Nthato Motlana. Le médecin de la famille Mandela à Soweto est un homme extraverti et réaliste. Il veut que les Noirs suivent le modèle… des Afrikaners. Après la terrible défaite des Boers en 1902, ceux-ci ont méthodiquement œuvré pour intégrer les structures de l’économie moderne, tenues à l’époque par les anglophones: ils ont créé des banques, des compagnies d’assurances et d’import-export. Dès août 1996, Motlana attire Ramaphosa dans l’aventure en lui confiant les rênes de son fonds d’investissement , le Nail (National Africa Investment Limited). Cyril le syndicaliste change de look. Alors que sa silhouette s’arrondit, il se rase la barbe et adopte des costumes sombres. Son caractère enjoué autant que déterminé plaît au Johannesbourg Stock Exchange. Il se montre aussi à l’aise avec le patronat qu’il l’était jadis avec les mineurs.
Lorsque le puissant groupe Anglo American cherche à se défaire d’une de ses filiales spécialisées dans le placement, un consortium regroupant des entrepreneurs noirs et des syndicats décide de la racheter en 1996. Baptisée Johnnic, la nouvelle entité nomme Ramaphosa à sa tête. Le jeune PDG entre de plain-pied dans le monde du business. Présent dans l’hôtellerie, Johnnic mise judicieusement sur les télécommunications qui se développent à vive allure. Puis il se tourne vers les médias. En 1997, Ramaphosa devient président de Times Media Group Limited dont la figure de proue est le Sunday Times. Dès lors, il peut se fâcher avec Motlana et quitter le Nail pour voler de ses propres ailes.
En 2006, le groupe touristique Hosken Consolidated Investment entre au capital de Johnnic dans des conditions qui déplaisent à Ramaphosa. Il revend ses parts pour se consacrer à son projet personnel, à son enfant chéri, Shanduka.
Le terme signifie « changer » en tshivenda, sa langue maternelle. La nouveauté, c’est de savoir attirer des capitaux chinois. Le fonds souverain China Investment Corporation entre à hauteur de 25 % dans le capital de Shanduka, soit un apport de 243 millions de dollars. Shanduka prend des participations da ns les secteu rs les plus divers : les télécommunications, l’alimentation, le papier, l’énergie, l’immobilier, la banque. Un groupe sud-africain se doit d’être présent dans les mines, Shanduka mise donc sur le charbon dont la Chine est le premier producteur et l’Afrique du Sud le septième. Le groupe s’implante sur le continent, notamment au Mozambique, au Ghana et au Nigeria. En mission à Johannesburg en octobre 2012, une délégation du Medef français n’a pas caché son admiration pour le professionnalisme de ses interlocuteurs de Shanduka et pour la clairvoyance de son PDG.

Une belle-famille en or
L’ascension de Ramaphosa dans le monde des affaires tient aussi à de nouvelles connexions familiales. En premières noces, il a épousé Nomazizi Mthshotshisa, une infirmière devenue plus tard avocate. Très engagée dans la défense des activistes anti-apartheid, cette femme d’une grande sensibilité a fait partie de la délégation de juristes noirs venus en France observer les élections de 1993. Peu après, elle divorce très discrètement de Cyril. Elle s’éteindra en 2008.
Ramaphosa se remarie, toujours dans la discrétion, avec Tshepo Motsepe. La famille Motsepe est unique en Afrique du Sud : le patriarche Augustine Butana Chaane, dit ABC Motsepe, directeur d’école, propriétaire d’une échoppe, et son épouse Kay Lekoma, métisse de père écossais, institutrice native de Soweto, ont eu sept enfants.
Parmi eux, Bridgette, première femme à la tête d’une entreprise minière, la Mmakau Mining, qui extrait le platine, l’or et le chrome, amie de la princesse Charlène de Monaco et épouse de Jeff Radebe. Ce dernier est un éléphant de l’ANC. Diplômé de l’université de Leipzig, il fut un pilier du Parti communiste. Seul membre du gouvernement à siéger sans discontinuer depuis 1994, il est aujourd’hui ministre affecté à la Présidence, en charge du programme de développement, numéro trois dans l’ordre protocolaire, derrière Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa, son beau-frère.
Mais le plus connu de la famille demeure Patrice Motsepe, cinquième fortune et premier milliardaire noir d’Afrique du Sud. Né en 1962 à Soweto, prénommé Patrice en référence à Lumumba, Motsepe a commencé comme avocat d’affaires. Rachetant des mines d’or alors que le cours était au plus bas en 1997, il a par la suite investi dans le platine et les métaux ferreux, et siège désormais au conseil d’administration de trois compagnies majeures : Sanlam (assurances), Absa (banque) et Harmony Gold (industrie aurifère). Il détient le club de football emblématique de Pretoria, le Mamelodi Sundowns FC.
Plus que toute autre, cette famille symbolise les Black diamonds qui se sont enrichis depuis l’arrivée de l’ANC au pouvoir. Elle provoque autant l’admiration de la classe moyenne que la rancœur des laissés-pour-compte.
« Êtes-vous toujours socialiste, main- tenant que vous êtes l’une des personnes les plus riches d’Afrique du Sud ? » demande un jo ur na li st e en 2010. « Ou i, je le demeure », répond Ramaphosa. « Je suis un socialiste, mais je navigue dans un monde capitaliste. Je suis donc un capitaliste avec des instincts socialistes. »
Entre le 11 et le 16 août 2012 les mines de platine de Marikana, non loin de la ville de Rustenburg, sont le théâtre d’affrontements sanglants qui feront au total 44 morts. La police a fait feu sur les manifestants exacte- ment comme au temps de l’apartheid.

Massacres à Marikana
Il se trouve que Shanduka détient 9 % du capital de l’entreprise minière Lonmin. Ramaphosa siège donc au conseil d’administration. Il s’agit d’une société gérée à l’ancienne, avec peu de considération pour les conditions de vie des mineurs. Ces travailleurs ne sont plus des étrangers célibataires, vivant concentrés dans des baraquements, mais des Sud-Africains venus des provinces voisines. Ils se sont installés en famille dans plusieurs quartiers alentour. Le NUM, le syndicat des mineurs créé par Ramaphosa, étant désormais considéré comme un syndicat officiel, une formation plus radicale, AMCU (Association of Mineworkers and Construction Union), a vu le jour. Aux yeux de Ramaphosa, ses membres sont un peu des factieux. Au long des échanges qu’il a depuis Johannesburg avec la direction de Lonmin, il se montre adepte de la fermeté pour éviter les débordements.
La Commission d’enquête présidée par le juge Farlam travaille deux ans d’affilée pour éclaircir l’affaire. Ramaphosa est entendu le 11 août 2014. Ses courriels et ses contacts téléphoniques sont épluchés. Le rapport est remis en mars 2015 à Jacob Zuma qui mettra trois mois à le publier. Le document ne retient pas la responsabilité de Ramaphosa qui, à l’époque, ne détenait aucun mandat politique. Les conclusions pointent en revanche l’ineffica- cité de la générale Victoria Phiyega, directrice de la police nationale, désignée deux mois plus tôt par Jacob Zuma. Le rapport critique le ministre de la Police et sa collègue des Mines, qui n’ont pas brillé par leur discernement. Zuma leur attribuera d’autres portefeuilles. La commission épingle aussi le NUM et l’AMCU, syndicats incapables de contrôler leurs troupes, ainsi que la direction de Lonmin, qui n’a pas fait le nécessaire pour résoudre le conflit.
Les conseillers de Zuma estiment dès 2012 que la réélection en 2014 de leur champion, embourbé dans plusieurs affaires, sera laborieuse. Les 500000 emplois promis ne sont pas au rendez-vous. La gauche et les jeunes, qui l’ont porté à la tête du parti cinq ans plus tôt, montrent des signes de lassitude. On suggère au président de prendre Ramaphosa comme vice-président. Le premier récoltera l’électorat rural, le second les voix urbaines. Le patron de Shanduka accepte de quitter son placard doré sans se faire prier.
À ce sujet, le fonctionnement interne de l’ANC mérite qu’on s’y arrête. Tous les cinq ans, le congrès réunit 4 000 délégués, remontant ainsi tous les desiderata des sections, des provinces, des ligues. Six postes sont pourvus par une élection nominative, dont la présidence, la vice-présidence et le secrétariat général. Ensuite les délégués se prononcent sur les 80 personnes qui formeront le Comité exécutif (NEC). Cette liste constitue le meil- leur baromètre de popularité au sein du parti. La « cote d’amour » de Cyril Ramaphosa est restée élevée, même après son départ de l’Assemblée nationale. Au congrès de 1997, il arrive en tête des 80 élus du NEC. En 2002, il figure en deuxième position, derrière Trevor Manuel, le solide ministre des Finances. En 2007, en revanche, il rétro- grade à la trentième place. Au congrès de Mangaung de décembre 2012, Zuma remporte aisément son duel face à Kgalema Motlanthe. De son côté, Ramaphosa réussit son retour en poli- tique. Dans la bataille pour la vice-présidence, il obtient 3 018 voix face à deux anciens Premiers ministres provinciaux, Tokyo Sexwale (470 voix) et Mathews Phosa (463 voix). Il reçoit le soutien remarqué de la province du KwaZulu-Natal, le fief de Zuma.
La nouvelle équipe de l’ANC se met en campagne et ne perd finalement que trois points aux élections législatives de 2014, avec 62 % des suffrages. Certes l’enthousiasme qui prévalait vingt ans plus tôt a disparu, mais les Noirs maintiennent leur soutien au parti qui les a libérés de l’apartheid.
Intronisé vice-président de la République le 26 mai 2014, Ramaphosa réalise le rêve dont on l’avait privé vingt ans plus tôt. Il se défait de ses parts dans les sociétés nationales régulées par l’État, mais conserve ses participations dans les firmes internationales comme Coca-Cola et McDonald’s.
Au sein du gouvernement, le vice-président est en charge des rapports avec le Parlement. À ce titre, Ramaphosa préside aussi la Commission du plan, avec Jeff Radebe, son beau-frère, comme adjoint. Sa fonction l’appelle à de nombreux déplacements à l’étranger, une façon de lustrer une image internationale déjà brillante. Mais Zuma lui confie des déminages délicats (crise des autoroutes à péages, condi- tions d’entrée ou de sortie des mineurs, lutte contre la corruption). Ramaphosa sait qu’il peut laisser des plumes dans ces opérations et fait montre de prudence. « Chaque mot de ses interventions est pesé au milligramme », constate une diplomate occidentale.
La conquête de la dernière marche du pouvoir, en 2019, passe d’abord par une victoire au congrès de l’ANC en décembre 2017. Cyri Ramaphosa est bien placé, il est loin cependant d’avoir course gagnée.

L’ANC ne l’appuie pas
En premier lieu, il n’aura pas l’appui unanime de son parti. Zuma voulait Cyril comme numéro deux, il n’est pas certain qu’il le souhaite comme successeur. Le président de la République, qui a dirigé les services secrets de l’ANC en exil, voit des complots partout. La présence d’une personnalité charisma- tique à ses côtés fait de l’ombre à ce piètre orateur. En avril 2015, il a annulé des élections régionales au sein de l’ANC au KwaZulu-Natal qui avaient désigné des représentants pro- Ramaphosa. Habile pour se dépêtrer du filet de la justice, Zuma aurait à cœur de promouvoir un candidat qui ne viendra pas perturber sa retraite. Le parti ne manque pas de quadragé- naires zoulous qui lui doivent tout. Par ailleurs, les alliés de l’ANC sont réservés à l’égard de Ramaphosa, notamment le Parti communiste. Une façon subtile d’écarter Ramaphosa consiste à encourager une candidature féminine. Très en pointe dans la promotion des femmes, l’Afrique du Sud a déjà connu deux vice-présidentes. Des voix s’élèvent pour franchir le cap. Deux fortes personnalités se dégagent, la première de langue maternelle zouloue, la seconde xhosa. Nkosazana Dlamini-Zuma a remis de l’ordre au ministère de l’Intérieur. Surpris par sa popularité, son ancien époux l’a vivement encouragée à prendre la tête de l’Union africaine. Quant à Baleka Mbete, elle a été vice-présidente pendant l’éphémère présidence de Kgalema Motlanthe (septembre 2008-mai 2009). Habituée du perchoir de l’Assemblée nationale, sa façon autoritaire de gérer les trublions de l’EFF lui vaut de nombreuses critiques.

Ses chances
L’appartenance ethnique joue un rôle mineur au sein de l’ANC. Cependant Zuma a su en appeler à tous les ressorts de l’identité zouloue pour l’emporter. D’aucuns lui reprochent de « zoulouïser » la direction du parti. En tant que Venda, Ramaphosa manque d’une solide base régionale. Mais il peut aussi s’en servir face aux grands groupes linguistiques : la présidence a été occupée par deux Xhosas (Mandela, Mbeki), un Tswana (Motlanthe), un Zoulou (Zuma), n’est-il pas judicieux pour l’Afrique du Sud de poursuivre cette diversification ?
Seconde difficulté : la base électorale de Ramaphosa dans le pays est disparate. Le monde syndical qu’il avait su si bien organiser il y a trente ans se fissure inexorablement. Le syndicat de la métallurgie Numsa et ses 350 000 adhérents ont quitté la Cosatu. Le syndicat qu’il a dirigé jadis, le NUM, a rejeté en 2015 son secrétaire général, jugé trop inféodé au gouvernement. De nouvelles formations émergent à gauche. Seul le Satawu, le syndicat des transporteurs, affiche son soutien indéfectible à Cyril. Les jeunes générations n’ont pas connu le syndica- liste infatigable et le perçoivent davantage comme un businessman. S’il a été blanchi dans l’affaire Marikana, son image d’homme du peuple en est malgré tout écornée. Julius Malema ne perd aucune occasion de le traiter d’assassin.
Il bénéficie du soutien de la classe moyenne noire, évaluée à 4 millions de citadins, et du monde des affaires. Concernant les zones rurales, il s’est prononcé pour un moratoire sur les expulsions des ouvriers agri- coles en fin de contrat. Cette mesure est bien acceptée par les intéressés, mais ne préjuge pas de leur vote futur.
Enfin, Ramaphosa peut commettre des erreurs. Il est particulièrement discret sur son train de vie et sur sa vie de famille et son nom n’apparaît dans aucun des scandales financiers qui secouent parfois le pays. En 2012, il a toutefois commis un faux pas en participant à une vente aux enchères dans un ranch. Il était prêt à mettre 18 millions de rands (environ 1 million d’euros) pour acquérir une bufflonne et sa bufflette. Il s’en est ensuite excusé, sachant que beaucoup de ses compatriotes vivent encore dans la misère.
Dans l’hypothèse où Ramaphosa serait investi par son parti en 2017, il faudrait encore que l’ANC remporte les élections législatives de 2019, car ce sont les députés qui élisent le chef de l’État. Le parti écrase encore la concurrence avec 62 % des voix, mais sa majorité risque de s’effriter.
Les libéraux de la Democratic Alliance se sont donné avec Mmusi Maimane un nouveau président, jeune et noir, censé gommer l’image trop blanche de ce parti. Il se lancera en 2016 à l’assaut de la mairie de Johannesburg qui, après Le Cap, constituerait une prise symbolique. À gauche, Ramaphosa sait qu’il sera la cible constante des députés de l’EFF qui lui rappellent son attitude lors des massacres de Marikana.
Il n’est pas impossible qu’un jour l’ANC se déchire sous le poids de ses contradictions, tiraillé entre communistes et démocrates-chrétiens, socialistes et hommes d’affaires vivant des marchés d’État. Porter à sa tête un homme polyvalent comme Ramaphosa serait, pour le parti de Mandela, une manière d’éloigner cette éventualité.

Par Georges Lory

 

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