Que c’est triste Erevan…

Nul besoin de talents divinatoires pour l’affirmer. Le XVIIe sommet de la Francophonie, qui se tiendra à Erevan les 11 et 12 octobre, brillera par l’absence d’un homme : Charles Aznavour. Ou plus précisément Shahnourh Varinag Aznavourian, les véritables prénoms et nom du chanteur né à Paris en 1924 de parents arméniens.

Lors de l’hommage qu’il lui a rendu peu de temps après sa mort, le 1er octobre, le président français Emmanuel Macron a indiqué qu’il avait convié l’artiste à l’accompagner à Erevan et que ce dernier aurait dû chanter lors du sommet.

Le sort en a décidé autrement, au grand dam des 3 millions d’habitants que compte l’Arménie, les francophones en particulier. On estime leur nombre à environ 200 000 (dont 180 000 francophones partiels), ce qui représente 6 % de la population. Après avoir adhéré à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en 2004, l’ancienne république soviétique en est membre de plein droit depuis 2012.

La disparition du « grand Charles » – il mesurait à peine plus de 1,60 mètre » – ne saurait éclipser le véritable enjeu de la rencontre entre dirigeants francophones. La secrétaire générale sortante de l’OIF, la Canadienne Michaëlle Jean, se succédera –t-elle à elle-même ?

Sa gestion a été critiquée à de nombreuses reprises. On lui a reproché des dépenses somptuaires. Elle n’a pas réussi, semble-t-il, à nouer des liens de confiance avec les chefs d’État subsahariens qui pour beaucoup avaient vu d’un mauvais oeil la direction de l’OIF passer en 2014 entre les mains d’une personnalité étrangère à leur continent, même si Michaëlle Jean, originaire d’Haïti, est noire comme eux. Nul doute que l’organisation a beaucoup perdu du lustre qu’elle avait sous la houlette de l’ancien secrétaire général, le Sénégalais Abdou Diouf.

Bénéficiant du soutien officiel du bloc africain et de la France, ce qui n’est pas peu, Louise Mushikiwabo, l’actuelle ministre rwandaise des Affaires étrangères, fait figure de favorite. Mais les Canadiens, qui contribuent, si l’on additionne la participation de l’État fédéral et celle des trois provinces membres de l’OIF, pour plus d’un tiers au budget de l’organisation, semblent peu désireux de lâcher le morceau et défendent d’arrache-pied celle qui fut leur gouverneure générale de 2005 à 2010.

D’autant que la candidature de Louise Mushikiwabo est loin de faire l’unanimité dans les pays qui ont fait le choix de la soutenir. Le 19 septembre, par exemple, quatre anciens ministres français chargés de la francophonie – Charles Josselin, Pierre-André Wiltzer, Hélène Conway-Mouret et André Vallini- ont expliqué pourquoi, à leurs yeux, le Rwanda est très mal placé pour présider aux destinées de l’OIF. Depuis l’arrivée au pouvoir il y a un quart de siècle de Paul Kagamé, qui ne parle de langue européenne que l’anglais, ce pays n’a cessé de prendre ses distances avec la francophonie : choix de l’anglais comme langue nationale et adhésion au Commonwealth, fin de l’enseignement du français dans les écoles, etc.

Une autre réserve, et de taille, touche à la seconde mission de l’OIF, qui est de soutenir les processus démocratiques et de renforcer les droits de l’homme dans l’espace francophone. Or, pour utiliser une litote, le Rwanda peut difficilement servir d’exemple en la matière.

Quitte à pasticher un peu facilement Aznavour, le refrain du sommet ne risque-t-il pas d’être « que c’est triste Erevan quand on ne s’aime pas trop » ?

Dominique Mataillet.

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