Melinda Gates, optimiste impatiente

Brillante informaticienne, Melinda French a vu sa vie changer du tout au tout lorsqu’elle est devenue madame Bill Gates, en 1994. Elle et son mari dirigent aujourd’hui l’une des plus puissantes fondations privées du monde. Elle en détaille ici le mode de fonctionnement, les ambitions et les valeurs.

Voici dix ans, Warren Buffett s’est engagé à offrir 30 milliards de dollars à votre fondation. Vous communiquez sur ce sujet, et aussi sur le retour sur investissement qu’il peut en espérer. N’est-il pas étonnant de mêler ainsi philanthropie et concepts financiers ?
Melinda Gates : C’est d’abord un message que nous avons tenu à adresser à Warren lui-même. Voilà dix ans que notre ami Warren Buffet nous a fait confiance, nous nous sentions tenus de lui dire à quoi son argent avait servi, ce qu’il avait rapporté. Quand vous engagez votre propre argent, il n’y a pas de problème. Quand les fonds vous sont donnés par d’autres, c’est différent. Vous avez une responsabilité. Donc nous avons voulu déterminer à quoi cet argent avait été utile, combien de vies il avait permis de sauver, si nous l’avions utilisé de façon efficace… Warren nous dit : « Vous vous attaquez à des problèmes incroyablement ardus, je ne veux pas que vous soyez trop prudents, vous devez prendre des risques, faire bouger les lignes. » D’ailleurs nous avons connu des échecs, et il l’accepte tout à fait. Il sait que les problèmes que nous tentons de résoudre sont très compliqués.

Vous parlez d’échecs, à quoi pensez-vous précisément ?
A ce jour, nous avons réussi à éradiquer une maladie : la variole. L’an dernier, nous pensions aussi en avoir fini avec la polio. Mais il faut trois ans sans nouveau cas pour confirmer qu’une maladie a disparu et, malheureusement, quelques personnes sont tombées malades au Nigeria. Ça a été très dur quand nous l’avons appris. Pour Bill, pour moi, pour les équipes sur le terrain… Et puis ensuite vous vous ressaisissez. Vous vous dites : bon, on va s’en occuper, on va comprendre pourquoi ces personnes ont été contaminées, on va apprendre de nos erreurs et on saura ce qu’il faut faire pour que ça n’arrive plus.

Votre fondation fait beaucoup d’études statistiques en amont. Dans quel but ?
Nous ne nous attaquons pas à un problème si nous n’avons pas les données chiffrées. Sans chiffres fiables, c’est très difficile d’agir efficacement et encore plus difficile d’aller voir un donateur potentiel. Que va-t-on lui dire ? « Hé, on a mis de l’argent pour résoudre tel problème. Bon, on ne sait pas trop quels résultats on a obtenus, on n’est pas sûrs… » Vous imaginez ? Alors que si je peux leur dire : « Je sais de façon certaine que j’ai fourni des téléphones mobiles à tel nombre de femmes dans tel pays, que cela leur a permis d’ouvrir des comptes en banque et de s’extraire da pauvreté », là les gens vous disent : « Ouah ! Nous voulons investir dans ce projet nous aussi ! »

On comprend que vous qui venez de Microsoft, vous mettiez l’accent sur les technologies. Pouvez-vous expliquer quel rôle elles peuvent jouer ?
Premier point : les pauvres ne sont pas les bienvenus dans les banques. Ils ont des difficultés à ouvrir un compte. Ils prennent le train ou le bus pour aller à la ville, ils doivent payer en liquide, et aussi transporter de l’argent sur eux. Parfois ils se font attaquer, on le leur vole. Et pour finir ils arrivent à la banque, en ville, et on ne veut pas d’eux… Ce que nous avons observé, c’est que quand les gens ont un téléphone mobile, ils ont accès à la banque mobile, aux solutions de paiement mobile, et ça leur fait économiser un ou deux dollars par jour.

Vous mettez aussi beaucoup l’accent sur la contraception. Pourquoi ?
Quand vous arrivez à espacer les grossesses, la mère et l’enfant ont plus de chances d’être en bonne santé. Beaucoup de femmes meurent encore en couches et je suis très fière de dire que 300 millions d’entre elles ont désormais accès à une contraception. Bien sûr, dans de nombreux pays c’est un sujet sensible, mais il y a des solutions. Au Niger, il existe une école destinée aux maris qui leur explique pourquoi il est préférable pour tout le monde que leur femme puisse espacer les grossesses. Une fois que les hommes sont convaincus, la contraception devient une décision de couple. En Inde, il y a des formations dispensées aux femmes, sur ce sujet et sur bien d’autres. Ensuite, elles reviennent dans leur village et prêchent la bonne parole. Ça leur donne de l’influence, ça leur donne une voix.

Vous semblez optimiste ?
Bill et moi avons l’habitude de dire que nous sommes des optimistes impatients. Le monde va de mieux en mieux. La pauvreté a été réduite de moitié en vingt-cinq ans. Il y a dans le monde 122 millions d’enfants qui sont en vie parce qu’on a pu les vacciner contre la malaria et distribuer des moustiquaires. Les fermiers voient leurs revenus augmenter, ça leur permet d’envoyer leurs enfants à l’école. Malheureusement, je dirais qu’il y a à peine 1 % des Américains qui savent tout cela.

En Amérique, justement, certains parlent de réduire l’accès à la contraception. Comment réagissez-vous ?
Les mesures dont ont parle auraient pour conséquence de réduire les moyens de cliniques qui distribuent aussi des médicaments contre le HIV, la tuberculose, la malaria… Il existe un programme, le Global Fund, financé par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France et qui a déjà sauvé la vie à 20 millions de personnes. C’est cela qu’on voudrait remettre en cause ? Je ne comprends pas, pour moi ça n’a aucun sens.

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