Médecine française : du rififi chez les mandarins

Tel un chien dans un jeu de quilles : ainsi est apparu le Pr Raoult face à l’industrie pharmaceutique. © Ian Hanning/Réa

Du rififi chez
les mandarins

L’épidémie du Covid-19 fera date dans l’histoire de la médecine française. Durant toute la crise sanitaire, cette médecine a présenté un aspect lumineux, celui de ces soignants qui, manquant de protections, ont risqué leur vie pour soigner des malades. Et un aspect sombre, presque scandaleux, celui des violentes polémiques entre mandarins.
Par Gérard Haddad (article paru dans La Revue n°89, juin-juillet-août 2020)

Des soignants de tous niveaux, manquant de matériel de protection (masques, blouses…), de certains médicaments (curare), harassés par les tracasseries administratives, n’ont pas hésité à mettre leur santé en danger. Plus d’un l’a payé de sa vie. À l’heure où toutes les valeurs vacillent, ces fantassins de la médecine ont montré que cette profession reste une véritable vocation, l’une des dernières. Pour compenser le manque de matériel, ils ont bricolé, cousu des masques, transformé des sacs-poubelle en blouse, contourné une administration tatillonne en créant des groupes d’entraide sur les réseaux sociaux. Ils ont inventé des techniques de réanimation sans demander l’avis des autorités médicales supérieures, sans utiliser d’essais randomisés. Grâce à ce dévouement et cette intelligence, le taux de mortalité en réanimation a été considérablement réduit. La population ne s’y est pas trompée en improvisant les séances d’applaudissements au balcon à 20 h.

Que l’hôpital se soit trouvé en première ligne dans la lutte contre le Covid-19 est un premier indice de la mauvaise gestion de la crise. Normalement, les urgences sont la dernière ligne de défense sanitaire. La première ligne devrait être occupée par les médecins de ville, les généralistes, au contact de leurs patients. Chose étonnante, ces généralistes ont été mis hors-jeu, dans l’impossibilité de soigner leurs patients au moment le plus grave de l’épidémie. La consigne en direction des sujets souffrants était de rester chez eux, de prendre du paracétamol – remède pourtant dangereux à forte dose – et d’appeler le Samu (15) si l’état s’aggravait. Nul besoin de médecin pour cela. 

LES MASQUES, JUGÉS ALORS INUTILES

En fait, les autorités sanitaires françaises ont abordé l’épidémie dans un état de carence, non seulement au niveau de l’équipement, mais aussi au niveau des idées. On a glosé sur l’absence de masques et de tests, l’attribuant à des erreurs de gestion. La cause de cette absence est plus simple : au niveau des conseillers du gouvernement, on ne croyait pas en l’utilité des masques. Petite anecdote personnelle : au début de l’épidémie, j’eus la prudence de passer commande de masques sur internet. Un ami, membre du cabinet d’un important ministre, pouffa de rire quand je l’informai de ma commande, qu’il jugea ridicule. Cette réaction reflétait le préjugé dominant dans les hautes sphères du pouvoir.

De même pour les tests PCR (Polymerase Chain Reaction) pratiqués dans les fosses nasales. Ils étaient inutiles, disait-on, puisqu’on peut être négatif un jour et devenir positif le lendemain. Ce raisonnement implacable rate l’essentiel, à savoir que le but du test n’est pas de dépister les négatifs, mais les positifs afin de les isoler et de les traiter.

Le Covid-19 allait mettre au grand jour le défaut de la médecine française. Son principe directeur est de traiter les malades un par un, et cela elle le fait remarquablement. Par contre, l’idée de traiter la population comme un tout systémique dont les sujets inter-réagissent entre eux, en un mot la Santé publique, sont les parents pauvres de la médecine française. C’est ce que nous avions signalé avec le Pr Didier Sicard, dans un ouvrage d’entretiens datant de plus de vingt ans (1).

Compte tenu de cette vision des choses, les responsables politiques et sanitaires n’avaient d’autre choix que le strict confinement généralisé, enfermant dans un même lieu d’éventuels malades et des personnes saines qui allaient inévitablement être contaminées.

Pour tenir ce confinement, les forces de police ne pouvaient suffire. On fit donc appel à la peur de la maladie et de la mort. Pour cela, on multiplia les messages angoissants. Ce sera la macabre cérémonie du soir où le directeur de la Santé décomptait les morts de la journée. Ou l’annonce que les sujets guéris ne seraient pas à l’abri d’une rechute. Ou qu’il fallait craindre, sans aucune raison, une deuxième vague. Ou qu’on ne disposait d’aucun traitement.

Le résultat, on le connaît. La France, ainsi que la Belgique, l’Italie et l’Espagne se trouvent dans le peloton de queue des morts par million d’habitants. C’est dans ce contexte qu’apparut le personnage du Pr Didier Raoult, tel un chien dans un jeu de quilles. 

LIBERTÉ DE PRESCRIRE

C’est alors que la médecine française révéla son visage sombre, qui ne concerne pas ses vaillants fantassins, mais ses représentants les plus éminents, se livrant à une véritable « guerre civile » où tous les coups sont permis. Il est important d’analyser ce phénomène, en commençant par déblayer un certain nombre de clichés.

Non, il ne s’agit pas d’un conflit entre Paris et Marseille. Quelques-uns des soutiens de Raoult sont parisiens. Philippe Douste-Blazy, ancien ministre de la Santé, et le Pr Christian Perronne, du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Garches, ont lancé une pétition demandant la liberté de prescrire pour les médecins de ville, signée par des centaines de milliers de médecins dont le Pr François Bricaire, de la Pitié-Salpêtrière (Paris), et l’urgentiste Patrick Pelloux. Une liberté de prescrire qui leur a été retirée en mars 2020, sous peine de sanctions du Conseil national de l’Ordre des médecins, comme il est interdit aux pharmaciens de délivrer de la chloroquine sur une ordonnance qui ne serait pas celle d’un rhumatologue. 

Par ailleurs, Raoult est reconnu comme un des meilleurs spécialistes des épidémies. Il l’a prouvé en réglant l’épidémie de fièvre Q qui frappa en 1996 la ville de Briançon. On lui doit aussi la culture du germe de la maladie de Whipple, la découverte d’une nouvelle forme de virus, les gros virus, le traitement des maladies à rickettsies, ces petites bactéries qui se logent dans les cellules et causent de graves maladies (typhus). Ce n’est pas un savant solitaire, mais le directeur d’une équipe de chercheurs regroupés dans l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille. 

Il a été créé en 2010, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, lequel avait voulu créer des « pôles d’excellence ». L’IHU est l’un d’entre eux. Ses différentes unités ont été regroupées en 2015 dans un impressionnant bâtiment, dans la proximité de l’hôpital La Timone. Il a été construit sur le modèle de l’immense laboratoire de Shanghai, avec pour but d’étudier les phénomènes épidémiques et a été doté des équipements les plus perfectionnés. Il a coûté plus de 70 millions d’euros. Il constitue un nouveau type de laboratoire de recherche en ceci qu’il regroupe en un même lieu les fonctions de recherche, de soins et d’enseignement. Une autre institution de ce type existe en France : l’institut Imagine, au sein de l’hôpital Necker (Paris), qui étudie les maladies génétiques. 

PROPOSITIONS AU CARACTÈRE EXPLOSIF

On aurait pu s’attendre qu’un avis émis par un tel organisme spécialisé, le plus important de France, soit reçu avec intérêt. Il n’en a rien été. Au contraire, les avis de l’IHU émis au début de l’épidémie ont déclenché une tempête d’une violence inouïe. 

Quelles étaient ces propositions ? En voici les principales :

– La virologie chinoise est aujourd’hui à l’avant-garde de la recherche infectiologique et il convient accorder le plus grand intérêt à ses publications.

– La lutte contre toute épidémie repose sur un triptyque : dépister, isoler, traiter. 

– Des essais randomisés effectués en Chine ont montré l’intérêt de l’antipaludéen chloroquine sur ce virus. Ce remède, sans être miraculeux, a un effet positif important.

– Aucune des épidémies connues, à l’exception de la grippe espagnole, en raison de surinfections bactériennes, n’a connu de deuxième vague.

– Nous avons accumulé des milliers de molécules médicamenteuses. Aucun nouveau médicament ne présente d’avantage majeur par rapport à celui qu’il veut remplacer. Il faut donc puiser dans le grand réservoir des molécules existantes et les repositionner pour de nouvelles indications. À l’exception de la recherche dans certains secteurs comme celui du cancer.

Ces propositions ont été présentées au travers de courtes vidéos mises sur YouTube. Elles connaissent un succès considérable, en particulier dans la région de Marseille. Il est dû à une raison principale, celle de porter un message d’espoir à un pays angoissé par l’épidémie. De surcroît, l’IHU organise dans la ville un dépistage et un traitement à la chloroquine et à l’azithromycine pour toute personne malade qui le souhaite.

Ces propositions simples ont un caractère explosif. D’abord pour le gouvernement, puisqu’elles diffèrent de la stratégie choisie. Elles portent aussi une accusation grave, à savoir que des milliers de vies humaines auraient pu être sauvées. 

Les facteurs personnels jouent un rôle dans la polémique. Au cours de sa longue carrière, Raoult est souvent entré en conflit avec les autorités administratives du pays, en particulier avec les ministres successifs de la Santé. Il n’a jamais hésité à manier une ironie cinglante à leur encontre. L’homme a un aspect extérieur et des méthodes qui choquent certains milieux mondains.

Surtout, Raoult se heurte à une immense puissance, celle des trusts de l’industrie pharmaceutique qui voient dans la pandémie la perspective de revenus considérables à travers de nouveaux médicaments et la pluie des milliards de dollars de subvention pour la recherche d’un vaccin. L’idée de repositionnement de médicaments anciens tombés dans le domaine public revient à tuer la poule aux œufs d’or. Du coup, Raoult est devenu pour cette industrie l’homme à abattre.

L’influence des trusts pharmaceutiques sur le corps médical est considérable. Sans parler de corruption, appelée pudiquement « conflit d’intérêts », les laboratoires assurent l’essentiel de la formation médicale postuniversitaire à travers leurs visiteurs médicaux, le financement des colloques, etc. 

SACRO-SAINTE RANDOMISATION

La principale accusation contre les propositions de l’IHU est leur non-scientificité. Cela pour deux raisons. D’abord que les observations de l’IHU ne concernent qu’un trop petit nombre de patients, 24 dans une première série, plus tard portée à 1 000. Cette accusation fait sourire. Quelques jours plus tard, le laboratoire Moderna annonce des résultats intéressants dans un projet de vaccin à partir d’une série de… 9 cas. La nouvelle déclenche un enthousiasme général, en particulier dans les milieux boursiers. Des milliards de dollars s’échangent sur cette infime information. Nous ne sommes plus dans le domaine de la médecine, mais au casino.

En outre, l’IHU n’a pas utilisé le sacro-saint dispositif de randomisation, tirage au sort des patients soumis au traitement ou au placebo, dispositif immoral chaque fois que la vie des sujets est en jeu ou risquant de se dégrader irréversiblement (maladie d’Alzheimer). Pasteur, quand il découvrit le vaccin de la rage n’eut recours ni à la randomisation ni aux longues séries. La biologie possède d’autres techniques pour apprécier l’effet d’un médicament : évolution de la charge virale, imagerie, tests et observation clinique. 

Dernier argument employé par les détracteurs de l’IHU : la dangerosité de la molécule de chloroquine, qui existe depuis soixante-dix ans, utilisée par des milliards d’individus sans effet nocif connu, devenant soudain un poison. Ce remède est pris chaque jour par les malades souffrant de lupus, maladie inflammatoire, à la dose préconisée par Raoult pour le Covid. Il serait ainsi mortel en cas de Covid et inoffensif pour le lupus.

Le coup de grâce au protocole IHU vient d’être porté par la revue Lancet, qui publie une étude portant sur 97 000 patients répartis aux quatre coins du globe, du big data, montrant l’effrayante mortalité de la chloroquine. 

Laissons au Dr Richard Horton le mot de conclusion : en 2014, il faisait part de sa difficulté pour accorder sa confiance aux publications concernant les médicaments, vu la pression de l’industrie. Richard Horton est rédacteur en chef de la revue… Lancet.

(1) : Hippocrate et le scanner, de Didier Sicard et Gérard Haddad, éditions Desclée de Brouwer, 1999, 171 pages.

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