Le sempiternel combat de la femme tunisienne.

« Les filles de Bourguiba », comme on les appelle souvent, qui ont fait échouer toutes les velléités d’une remise en cause de leurs acquis, se préparent à une nouvelle bataille…

Le 13 août de chaque année la Tunisie célèbre la fête de la femme. Cette date coïncide avec la promulgation, en 1956, du Code de statut personnel(CSP) par le premier président de la république tunisienne, Habib Bourguiba(1903-2000). Il reste à nos jours l’un des grands acquis de l’indépendance du pays. Il avait, à cette époque, constitué une grande avancée pour les femmes tunisiennes. Avec l’abolition de la polygamie et de la répudiation et l’instauration du divorce judiciaire, la femme tunisienne a, ainsi, acquis un statut inédit dans la société tunisienne et inégalé dans le monde arabo-musulman. Bien mieux, la Tunisie a légalisé l’interruption volontaire de grossesse en 1973, soit deux années avant « la loi Veil » en France. Avec la Turquie et le Bahreïn, elle est l’un des seuls pays musulmans où cette pratique est légale.

Mais cette année, cette fête est célébrée sur fond de dissensions autour du rapport publié, mi-juin dernier, par la Commission des libertés(Colibe) créée par l’actuel président de la république Béji Caid Essebsi le 13 août 2017. Présidée par la députée, l’avocate féministe Bochra Belhaj Hmida et composée de juristes, d’anthropologues et d’islamologuescette commission a proposé des projets de loi « visant à faire correspondre l’arsenal juridique tunisien aux exigences d’égalité et de libertés individuelles ». Elle recommande, notamment l’égalité homme – femme dans l’héritage d’une part, puis entre les enfants légitimes et naturels (biologiques) d’autre part, mais aussi, l’égalité dans l’attribution de la nationalité et le choix du nom de famille (possibilité de choisir celui de la mère), et enfin l’abolition de la peine de mort et de la criminalisation des pratiques homosexuelles. Ces quatre recommandations, expurgées du rapport de 235 pages, ont suscité une vive polémique dans la société tunisienne et des réactions hostiles de la part des nouveaux enturbannés qui, dans un mélange de genres, ont crié à l’hérésie et au scandale. Dans leurs prêches hebdomadaires, les imams, pourtant nommés par l’Etat, ont descendu le rapport, ses auteurs et ses commanditaires, jugeant les points pré-cités, contraires aux préceptes de l’Islam. Avec d’autres prédicateurs, ces « seconds couteaux de l’Islam politique » ont même pris la tête de manifestations hostiles pour protester contre le contenu du rapport que la plupart d’entre eux n’ont pas lu, ( dixit Belhaj Hmida), pour appeler à la protection du Coran, menacé, selon eux, dans son essence même.

Ces réactions ne sont pas sans rappeler les craintes soulevées par l’arrivée des islamistes au pouvoir après 14 janvier 2011.  Des appels à l’application de la « charia » comme base du corpus juridique et au rejet pur et simple du CSP, ont été relayés par certains médias en mal d’inspiration et de repères. Les Tunisiennes et la société civile progressiste ont pris peur, craignant qu’on ne leur impose une nouvelle culture inspirée de l’idéologie wahhabite et calquée sur celle des Talibans. 

Présentes aux premières loges lors du combat pour l’indépendance, dans la construction de la Tunisie moderne et lors l’instauration de la deuxième république, les femmes tunisiennes, aidées par une élite progressiste et éclairée, ont engagé une véritable bataille pour s’opposer à cette « islamisation rampante » qui visait essentiellement les acquis de l’indépendance, de manière générale, et le statut de la femme en particulier. Un combat fut engagé au sein même de la Constituante élue en 2011 pour rédiger une nouvelle Constitution pour le pays, contrôlée par Ennahdha, autour de la place de la religion dans la nouvelle loi fondamentale, de l’instauration de la « Charia » comme source de la législation et de la place de la femme dans la société.

Le même scénario ou presque se répète, aujourd’hui. Mais « les filles de Bourguiba », comme on les appelle souvent, qui ont fait échouer toutes les velléités d’une remise en cause de leurs acquis, se préparent à une nouvelle bataille, non moins rude. Un appel à un grand rassemblement a été lancé par plusieurs formations de la société civile, lundi prochain pour soutenir les projets de réforme contenus dans le rapport.  De son côté, le président tunisien qui veut parachever l’œuvre de Bourguiba dont il se réclame souvent, devrait annoncer une série de propositions susceptibles de contenter son électorat féminin qui se détourne de plus de plus de lui après son deal avec le chef du mouvement islamiste. Ebranlé par une crise politique aiguë qui l’oppose au chef du gouvernement Youssef Chahed, c’est pour lui, l’occasion rêvée de se remettre en selle et d’apparaitre dans les habits du réformateur.

Brahim Oueslati

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