La nostalgie du sans-culotte.

Je doute que le mouvement des gilets-jaunes en France redonne un sens à la fraternité et à l’égalité, ni qu’il incarne aujourd’hui l’essence de la démocratie. Seuls Mme Le Pen et M. Mélenchon le croient. D’où ma suspicion.

Ce sont en majorité de braves gens qu’on voit brandir leurs griefs et leurs poings devant les caméras de télévision. Mais ils se croient le Peuple quand ils ne sont, sous leur unanimisme proclamé, qu’une foule ondoyante et désordonnée.

Car le gilet-jaune ne dit pas « nous », il dit « je » : la seule cause qui vaille, c’est la sienne. Méprisé, incompris, abandonné, il se croit unique ; aigri par le malheur, imbu de sa colère, il récuse toute délégation du pouvoir, son individualisme le poussant à l’action directe et à la violence. La pique et le smart-phone sont ses emblèmes : c’est un sans-culotte 2.0 !

Un révolutionnaire ? Non, son refus criant de toute modernisation de l’économique en font indubitablement un passéiste.

C’est étrange, au-delà des mutations qui l’affectent, la France demeure identique à elle-même. Longtemps les Français ont postulé un dénominateur commun à l’humanité ; ils préféraient ce qui doit être, et ce qu’il faut défendre : les idées, les valeurs, les lois – les leurs bien sûr mais ils rêvaient de les partager – plutôt que la sinistre réalité ; ils croyaient dur comme fer à des choses improbables : l’égalité, les droits de l’homme, l’universel.

Certes ils n’étaient pas dupes, ils voyaient bien tout ce qui faisait obstacle à leur ambition mais ce n’était là que des hoquets de l’Histoire, des aléas infimes, des contre-temps ; ils se savaient porteurs de Lumières , ils ne doutaient pas du sens de leur combat.

Ce que résume avec élégance Montesquieu :  » Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose d’utile à ma patrie et préjudiciable à l’Europe, ou bien qui fût utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime.  »

A cette profession de foi – aujourd’hui inaudible, et qui semblera inepte à beaucoup en France comme en Europe – s’oppose depuis toujours le déni hargneux de Joseph de Maistre : « Il n’y a point d’homme dans le monde . J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan; mais quant à l’homme je déclare ne l’avoir jamais rencontré de ma vie ».

A l’instar de la crise de confiance qui ébranle la société française, les déboires de l’Europe actuelle où les antagonismes s’exaspèrent au lieu de s’amoindrir par le voisinage et le dialogue semblent lui donner raison. La logique des droits particuliers alliée aux replis régionaux ou identitaires conduit à une surenchère de récriminations aberrantes.

En démocratie, l’irresponsabilité protestataire est devenue la règle.

Reste une question : si Macron se soucie plus de la France que des Français, peut-il avoir raison sans eux ?

Frédéric Ferney.

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